Fait religieux en entreprise : Port d'un foulard islamique
La Cour de cassation a validé par son arrêt du 22 novembre 2017 le port d'un foulard islamique par une salariée dès lors que le règlement intérieur de l'entreprise ne l'interdit pas.
Selon la Cour de cassation, "il résultait de ses constatations qu’aucune clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur en application de l’article L. 1321-5 du code du travail et que l’interdiction faite à la salariée de porter le foulard islamique dans ses contacts avec les clients résultait seulement d’un ordre oral donné à une salariée et visant un signe religieux déterminé, ce dont il résultait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses".
Lire ci-dessous la note explicative de la Cour de cassation.
Par cette décision attendue, la chambre sociale tire les conséquences en droit français des deux arrêts rendus le 14 mars 2017 par la Cour de justice de l’Union européenne en ce qui concerne la liberté de religion dans l’entreprise (CJUE, Asma Bougnaoui, aff. C-188/15 ; 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, aff. C-157/15). S’agissant d’un licenciement fondé sur le refus d’une salariée portant un foulard islamique de l’ôter lors de ses contacts avec la clientèle, la Cour de justice a précisé l’interprétation qu’il convenait de retenir des dispositions de la directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, qui prohibe les discriminations en raison de l’âge, du handicap, de l’orientation sexuelle et des convictions religieuses.
Le droit européen des discriminations est traversé depuis l’origine, tant en jurisprudence que dans les directives, notamment celles adoptées en matière d’égalité de traitement entre hommes et femmes, par la distinction entre les discriminations directes et indirectes, le régime des justifications étant radicalement différent.
- Comme en matière de libertés de circulation, une discrimination directe ne peut être justifiée que par un texte spécifique et exprès, résultant soit d’une disposition d’un des traités européens, soit de l’intervention du législateur de l’Union européenne dans un texte de droit dérivé. Dans l’espèce en cause, le seul texte dérogatoire applicable est l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE admettant qu’il soit dérogé au principe de non-discrimination en présence d’une condition essentielle et déterminante résultant de la nature d’une activité professionnelle et des conditions de son exercice,. La Cour de justice a indiqué dans son arrêt Bougnaoui (aff. C-188/15, précité) que, conformément au considérant 23 de la directive, ce n’est que dans des conditions très limitées qu’une caractéristique liée, notamment, à la religion peut constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante (§ 38) et qu’il en résulte que la notion d’« exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de cette disposition, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause ; elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client (§ 40). Elle en a conclu, en réponse à la question préjudicielle posée par la Cour de cassation française, que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition.
- En revanche, comme le prévoit l’article 2 § 2 de la directive, une discrimination indirecte peut être justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination, dont la liste n’est pas limitative et qui sont découverts au fil des affaires par le juge. Ainsi, dans le second arrêt du 14 mars 2017 rendu à propos d’une question préjudicielle posée par la Cour de cassation belge (CJUE, aff. C-157/15, précité), la Cour de justice a identifié un élément objectif résultant de la volonté de l’entreprise d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse, un tel souhait se rapportant à la liberté d’entreprise, reconnue à l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (§ 37 et 38). Cela suppose toutefois de caractériser une discrimination indirecte, définie selon l’article 2 § 2 de la directive comme une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour les personnes d’une religion donnée par rapport à d’autres personnes. Sur ce point, la Cour de justice a jugé qu’une clause ou une politique générale de neutralité dans l’entreprise prohibant le port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses, doit viser indifféremment toute manifestation de telles convictions et doit, dès lors, être considérée comme traitant de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise, en leur imposant, de manière générale et indifférenciée une neutralité vestimentaire s’opposant au port de tels signes (§ 30). Une telle clause ou une telle politique est alors justifiée si elle ne s’applique qu’aux salariés en contact avec la clientèle et si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il n’était pas possible à l’employeur, face au refus de la salariée d’ôter un signe religieux, de lui proposer un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec les clients, plutôt que de procéder à son licenciement (§ 43). Cette dernière obligation, qui s’apparente à une obligation de recherche de reclassement ou d’accommodements raisonnables, notion plus familière aux pays de Common Law, n’est qu’une application du principe de proportionnalité, s’agissant de déroger à une liberté fondamentale consacrée par l’article 9 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et par l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
A ces conditions qui sont reprises par l’arrêt du 22 novembre 2017 de la chambre sociale, cette dernière, en application des articles L. 1321-1 et suivants du code du travail, ajoute l’exigence que la clause de neutralité figure dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur en application de l’article L. 1321-5 du code du travail. Dès lors qu’il s’agit d’une mesure relevant de la discipline dans l’entreprise et qui apporte une restriction aux droits fondamentaux, les dispositions précitées exigent que soient respectées les garanties qui résultent de la communication du règlement intérieur à l’inspecteur du travail et au contrôle de celui-ci sur les clauses le cas échéant illicites, sous l’autorité, en cas de recours pour excès de pouvoir, des juridictions administratives et, en dernier lieu, du Conseil d’Etat, ainsi que de la consultation obligatoire du comité d’entreprise et dans certains cas du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il sera rappelé qu’en l’absence du respect de ces garanties, la jurisprudence de la chambre sociale en déduit l’inopposabilité au salarié des clauses du règlement intérieur (Soc. 9 mai 2012, n°11-13687, Bull. V n° 134).
Dans la mesure où, dans l’entreprise concernée, aucune clause de neutralité ne figurait dans le règlement intérieur ni dans une note de service relevant du même régime légal, le licenciement pour faute prononcé en raison du non-respect d’un ordre oral donné à une salariée et visant un signe religieux déterminé a été analysé comme une discrimination directe. Aucune contrainte objective ne s’opposant à ce que des fonctions d’ingénieur en informatique soient assurées par une salariée portant un foulard, cette discrimination directe ne pouvait être justifiée.
La chambre sociale se place ainsi dans le sillage de l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans l’affaire Baby Loup (Assem. plén. 25 juin 2014, n° 13-28.369, Bull. Assem. plén. n° 1) qui avait admis la validité d’une clause de neutralité générale dans une association dès lors qu’elle ne concernait que le personnel en contact avec les enfants et que, s’agissant d’une association de dimension réduite employant seulement dix-huit salariées, la mesure de licenciement était légitime et proportionnée.
En se référant à la mission de l’employeur de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, la chambre sociale s’est inspirée du nouvel article L. 1321-2-1 du code du travail issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, inapplicable en l’espèce s’agissant de faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, qui permet l’introduction dans le règlement intérieur des entreprises privées d’une clause de neutralité, disposition législative dont la compatibilité avec le droit de l’Union européenne est désormais incontestable.
Cette décision, qui définit ainsi le cadre d’instauration d’une politique de neutralité au sein des entreprises privées, ne s’oppose pas à la négociation au sein de l’entreprise de chartes d’éthique portant sur les modalités du “vivre ensemble” dans la communauté de travail. Mais de telles chartes sont dénuées de caractère obligatoire et ne sauraient fonder un licenciement pour motif disciplinaire dans le cas du non-respect par un salarié des préconisations qu’elles comportent.
Textes de référence :