Droit des personnes

L'usage constant et prolongé d'un prénom autre que celui indiqué à l'état civil est-il un motif permettant d'obtenir le changement de prénom à l'état civil ?

Le prénom est un élément de l'état civil d'une personne physique. Il doit être indiqué dans les actes d'état civil. Mais la question qui se pose est de savoir si l'on peut librement demander le changement de son prénom ? 

Le changement de prénom soumis au contrôle d’intérêt légitime

L'article 60 du code civil dispose que « toute personne peut demander à l'officier de l'état civil à changer de prénom. La demande est remise à l'officier de l'état civil du lieu de résidence ou du lieu où l'acte de naissance a été dressé. S'il s'agit d'un mineur, la demande est remise par son représentant légal. L'adjonction, la suppression ou la modification de l'ordre des prénoms peut également être demandée. Si l'enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis. La décision de changement de prénom est inscrite sur le registre de l'état civil. S'il estime que la demande ne revêt pas un intérêt légitime, en particulier lorsqu'elle est contraire à l'intérêt de l'enfant ou aux droits des tiers à voir protéger leur nom de famille, l'officier de l'état civil saisit sans délai le procureur de la République. Il en informe le demandeur. Si le procureur de la République s'oppose à ce changement, le demandeur, ou son représentant légal, peut alors saisir le juge aux affaires familiales. »

Il en découle que le changement de prénom n'est pas libre. La demande est notamment soumise au contrôle d'intérêt légitime d'abord par l'officier de l'état civil et le cas échéant par le procureur de la République s'il est saisi par l'officier de l'état civil. Si l'opposition du procureur de la République est contestée par le demandeur, l'intérêt légitime est déterminé par le juge aux affaires familiales. 

L’appréciation in concreto de l’intérêt légitime de changement de prénom

Les difficultés pratiques résident dans le fait que le législateur français n'a pas défini l'intérêt légitime en cas de changement de prénom. Cet intérêt légitime est apprécié in concreto, c'est-à-dire au cas par cas. Cet intérêt légitime est apprécié au regard des circonstances particulières de la cause. Par conséquent, il n'existe pas de solution de principe. Ce qui constitue en quelque sorte un aléa juridique pour les demandeurs. 

L’usage constant et prolongé d’un prénom autre que celui figurant à l’état civil est un motif légitime de changement de prénom.

Au fil des années, la notion d'intérêt légitime de changement de prénom est peu à peu précisée par la jurisprudence. 

Selon la jurisprudence constante[i], une demande de changement de prénom pour une simple convenance personnelle est exclusive d'intérêt légitime.

Mais le motif légitime peut être caractérisé par l'usage constant et prolongé d'un prénom autre que celui figurant à l'état civil. Cependant, le demandeur de changement de prénom doit en apporte la preuve[ii]. Concrètement, celui-ci doit démontrer par des preuves suffisantes l’existence de cet usage constant et prolongé d’un prénom revendiqué.

Dans une affaire[iii], le 2 octobre 2020, l’officier d'état civil d’une mairie a saisi le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lille d'une demande de changement de prénom formée par Mme [L] [Y]. Le 12 novembre 2020, le procureur de la République s'est opposé au changement sollicité. Par acte du 7 juillet 2021, Mme [Y] a assigné le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lille devant le juge aux affaires familiales afin d'obtenir que le prénom « [L] » soit remplacé par celui de « [R] » sur les registres d'état civil.

Par jugement du 25 janvier 2022, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Lille a rejeté cette demande. Mme [Y] a interjeté appel de cette décision.

Mme [Y]  a produit de multiples attestations démontrant que son entourage familial et amical la prénomme « [R] » depuis plusieurs mois ou années. Il est également établi que l'intéressée use parfois de ce même prénom pour suivre des formations professionnelles (Emmaüs Connect).

Pour autant, certaines pièces produites à cet égard révèlent également l'usage du double prénom « [I] » voire du seul prénom « [L] ». S'il est compréhensible que l'appelante mentionne son prénom « [L] » pour s'inscrire à une formation professionnelle qui nécessite de justifier de son état civil, la signature sous ce seul prénom figurant sur certains documents pédagogiques (contrat de formation INSTEP du 8 juillet 2020, avenant à ce contrat de formation du 4 janvier 2021, plan de formation SIEG du même jour) témoigne de l'usage persistant et spontané d'un prénom que l'intéressée avait elle-même choisi lors d'un précédent changement de prénom autorisé par décret du 8 octobre 2002.

A partir de ces constatations, la Cour d’appel de Douai a rejeté la demande de changement de prénom de l’intéressée aux motifs que un usage constant et prolongé du prénom « [R] » n’était pas caractérisé. Par conséquent, l'appelante ne justifie pas d'un intérêt légitime au sens de l'article 60 du Code civil précité.


 

[i] Voir notamment Cour de cassation, Première chambre civile, 16 décembre 1975, 73-12.787, Publié au bulletin ; Cour d'appel de Paris, Chambre 3-5, 6 juin 2023, 22/15638 ; Cour de cassation, Première chambre civile, 3 juin 2003, 00-21.804

[ii] Cour d'appel de Douai, 5 septembre 2024, 22/00938

[iii] Cour d'appel de Douai, 5 septembre 2024, 22/00938