Contentieux informatique : pas de clause de cession des droits, pas de transfert des codes source après la rupture du contrat de prestation
Cour d'appel de Caen, 24 octobre 2024, 22/03110
Il s’agit d’un contentieux des contrats informatiques entre :
- D’une part, le client : la SAS JNSM hôtels restaurant ;
- D’autre part, le prestataire informatique : la SARL PMT hôtels, société dont l'activité principale consiste dans le conseil en gestion marketing et communication dans le domaine de l'hôtellerie.
Deux contrats informatiques conclus
La SAS JNSM hôtels restaurant, société ayant comme activité l'exploitation d'un fonds de commerce d'hôtel et de résidence hôtelière ainsi que toutes activités annexes et complémentaires, a acquis au mois de mars 2021 un établissement en vue de le rénover et de l'exploiter comme un hôtel quatre étoiles sous l'enseigne Royalmar.
Dans le cadre du projet de rénovation et d'ouverture de son établissement hôtelier, la SAS JNSM hôtels restaurants a confié différentes missions à la SARL PMT hôtels.
Ainsi, suivant devis du 7 janvier 2021, la société JNSM hôtels restaurants a confié à la SARL PMT hôtels une mission de développement d'un site internet hôtelier et d'administration du nom de domaine correspondant moyennant le prix de 7.059 euros TTC.
Le 22 mars 2021, la société JNSM hôtels restaurants a réglé la somme de 3.529,50 euros TTC représentant 50% de la facture.
Parallèlement, les sociétés JNSM hôtels restaurant et PMT hôtels ont conclu le 8 janvier 2021 un contrat pour une durée déterminée de deux ans jusqu'au 8 janvier 2023 sauf reconduction tacite, portant sur des missions de conseil et d'accompagnement de la société JNSM dans le projet d'ouverture de l'hôtel Royalmar en cours d'acquisition, d'assistance dans le développement de l'hôtel, sa mise en oeuvre technique, opérationnelle, marketing et commerciale, et d'accompagnement dans l'exploitation moyennant une rémunération fixée par un pourcentage de 3% du chiffre d'affaires HT, un forfait de 1.200 euros HT pour chaque journée sur site au-delà du forfait de 36 jours outre le remboursement des frais de voyage et de séjour.
Plusieurs factures ont été émises par la société PMT hôtels dans le cadre de ce contrat.
Une mise en demeure adressée au client et la réplique de celui-ci
La société PMT hôtels a, par lettre recommandée expédiée le 4 octobre 2021, mis en demeure la société JNSM hôtels restaurants de régler la somme de 25.571,90 euros représentant six factures du 22 mars 2021 au 4 octobre 2021.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 26 octobre 2021, SAS JNSM hôtels restaurants a notifié à la SARL PMT la résiliation unilatérale et anticipée du contrat les liant, pour faute lourde de cette dernière mettant en péril l'exploitation de l'établissement hôtelier.
L’assignation délivrée par le client au prestataire informatique devant le tribunal de commerce de Lisieux et inversement
Par acte d'huissier de justice du 22 février 2022, la SAS JNSM hôtels restaurants a assigné la SARL PMT hôtels devant le tribunal de commerce de Lisieux afin de voir principalement prononcer la résiliation judiciaire du contrat d'entreprise concernant la création du site internet hôtelier de l'établissement Royalmar, de voir condamner la société défenderesse au paiement de la somme de 4.890 euros à titre de dommages et intérêts, d'obtenir la restitution sous astreinte des codes d'accès internet au nom de domaine hotelroyalmar ainsi que l'usage des adresses mails.
Par acte d'huissier de justice du 23 février 2022, la SARL PMT hôtels a assigné la SAS JNSM hôtels restaurants devant le tribunal de commerce de Lisieux en paiement de la somme de 28.566,41 euros au titre de factures impayées avec intérêts de retard à compter de la réception de la mise en demeure.
Suivant mesure d'administration judiciaire du 23 septembre 2022, le tribunal a prononcé la jonction des deux affaires.
Le tribunal de commerce de Lisieux a rendu un jugement en date du 18 novembre 2022.
Par déclaration du 12 décembre 2022, la société SAS JNSM hôtels restaurants a relevé appel de ce jugement.
En même temps, par jugement du 5 décembre 2022, le tribunal de commerce d'Antibes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS JNSM.
Les motifs de la Cour d’appel de Caen sur les demandes relatives au contrat concernant la création du site internet hôtelier
L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L'article 1224 du code civil indique : 'La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.'
L'article 1226 du code civil énonce : 'Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.'
L'article 1228 ajoute : 'Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.'
En l'espèce, l'article 6 al 2 intitulé 'résiliation anticipé' du contrat conclu le 8 janvier 2021 dispose que 'chacune des parties pourra résilier unilatéralement le présent contrat pour faute lourde avérée, mettant en péril l'entreprise de l'autre partie, en motivant les raisons de sa décision. La résiliation prendra effet après un délai de 3 mois à compter de l'envoi de la résiliation par lettre avec accusé-réception.'
Aux termes du devis du 7 janvier 2021, dont l'acceptation par l'appelante n'est pas discutée malgré son absence de signature, la société JNSM a confié à la société PMT les missions suivantes :
- développement d'un site internet hôtelier
- rédaction des textes en langue française
- pack SEO (optimisation du référencement du site)
- pack be social (optimisation de la visibilité du site sur les réseaux sociaux)
- pack pop up
moyennant le prix de 7.059 euros TTC payable comme suit : 50 % à la commande, 45 % restant 30 jours après, le solde avant la mise en ligne.
Seule la moitié du prix, soit 3.529,50 euros, a été réglée par la société JNSM hôtels restaurants, à la date du 22 mars 2021.
Le contrat prévoit par ailleurs une mission d'administration du nom de domaine et d'hébergement du site exclusivement auprès de PMT hôtels, moyennant une rémunération par an de 450 euros HT d'hébergement par site et de 50 euros HT par nom de domaine.
Cette prestation a été réglée par la société JNSM seulement au titre de la première année (facture du 22 mars 2022 d'un montant de 960€ TTC).
Le contrat signé le 8 janvier 2021 vise, en ses articles 2 et 2.4.4, la prestation relative au développement du site internet de l'hôtel et son référencement et renvoie pour cette action au devis susvisé valant contrat.
Par courrier du 26 octobre 2021, la SAS JSNM a notifié à la SARL PTM la résiliation unilatérale anticipée du contrat, en invoquant des inexécutions et manquements contractuels de cette dernière au titre de ses missions de conseil, d'assistance et d'accompagnement ainsi que l'inachèvement du site internet.
Il ressort des griefs formulés dans cette lettre et du fait que la prestation afférente au développement du site internet est visée à la fois dans le contrat du 7 janvier 2021 et celui du 8 janvier 2021 que la résiliation prononcée par l'appelante concernait les deux conventions.
Dès lors, la rupture unilatérale des deux contrats rend sans objet la demande de résolution judiciaire formée par la SAS JNSM.
Il convient néanmoins de vérifier si cette résolution était justifiée afin d'apprécier le bien-fondé des différentes demandes en paiement formées par les parties (dommages et intérêts, factures impayées, indemnité de résiliation).
La SAS JNSM reproche à la SARL PMT de n'avoir jamais finalisé la création du site internet hôtelier malgré ses demandes incessantes, d'avoir rompu brutalement et abusivement le contrat sans exécuter la prestation promise.
Cependant, il résulte des pièces versées aux débats, en particulier des échanges de mails entre les parties, des captures d'écran du site internet et des statistiques analytic google que :
- malgré le défaut de paiement de 50% de la facture et le peu de contenu dont elle disposait (photos etc), la société PMT a réalisé et mis le site internet en ligne le 12 mai 2021 à l'adresse https:// hotelroyalmar.com/, alors qu'elle n'y était pas tenue tant que le prix intégral n'était pas réglé, ce qui a permis à l'hôtel d'avoir une vitrine commerciale, de recevoir les réservations en ligne des clients et de générer en quelques mois un chiffre d'affaires de plus de 100.000 euros via ce site, comme exactement relevé par le premier juge ;
- ce site internet était donc parfaitement fonctionnel et l'absence de finalisation et de développement de son contenu est imputable à l'appelante qui n'a pas payé le solde de la facture ;
- malgré la résiliation anticipée du contrat par la SAS JSMN, la SARL PTM a maintenu le site en ligne jusqu'à ce que le nouveau prestataire reprenne la main .
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la SARL PMT a exécuté ses obligations, et même au-delà de ce à quoi elle était tenue contractuellement et que c'est la SAS JNSM qui est à l'origine de la rupture conventionnelle.
En l'absence d'un manquement grave et a fortiori d'une faute lourde de la SARL PMT à ses obligations, la résiliation unilatérale et anticipée par la SAS JNSM des contrats en date des 7 et 8 janvier 2021 afférents à la mission 'site internet' doit être qualifiée de fautive.
Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a débouté la SAS JNSM de sa demande en paiement de la somme de 4.890 euros HT à titre de dommages et intérêts correspondant à la facture du nouveau prestataire informatique du 24 janvier 2022.
Par ailleurs, il convient de fixer au passif de la procédure collective de la SAS JNSM la créance de la SARL PMT au titre du solde de sa facture, soit la somme de 3.529,50 euros.
Aux termes du dispositif de ses écritures, la SAS JNSM sollicite en outre la restitution sous astreinte des codes d'accès internet au nom de domaine hotelroyalmar ainsi que l'usage de ses adresses mails.
Or, il résulte des échanges de mails versés aux débats que le 22 mars 2022, date de fin de l'hébergement en ligne, la SARL PMT a transféré tous ces éléments au nouveau prestataire.
En revanche, elle n'avait pas à transférer les codes source (administrateur) du site internet dont elle est restée propriétaire dès lors que le contrat ne prévoit aucune clause de cession de droits sur celui-ci.