Droit des personnes

La règle infans conceptus en droit des personnes

La théorie d'infans conceptus

La règle infans conceptus est un adage juridique important dans le droit des personnes et des successions. Cet adage permet de considérer l'enfant conçu mais non encore né comme une personne dans certaines circonstances précises. Cette fiche explique en quoi consiste cette théorie, les conditions de son application et ses principales utilisations dans le droit français.

Qu'est-ce que la règle infans conceptus ?

En droit, la règle infans conceptus signifie que l'enfant déjà conçu mais pas encore né peut être reconnu comme une personne, à condition qu'il naisse vivant et viable. Ce principe a pour but de protéger les droits de l'enfant à naître, notamment dans les domaines patrimoniaux et successoraux.

Cette théorie trouve ses racines dans le droit romain, et elle a été reprise par le droit français, notamment dans le domaine des successions. L’article 725 du Code civil en est une illustration directe. Selon cet article, un enfant conçu peut hériter des biens de ses parents à condition de naître vivant et viable.

Article 725 du Code civil : Pour succéder, il faut exister à l'instant de l'ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable.

Conditions d'application de l'adage infans conceptus

Pour que l'adage infans conceptus puisse s'appliquer, trois conditions sont nécessaires :

  1. Intérêt de l'enfant : L'adage infans conceptus ne s'applique que dans l'intérêt de l'enfant. En ce sens, la Cour de cassation a énoncé dans un arrêt de principe que " l'enfant conçu est réputé né chaque fois qu'il y a de son intérêt" (Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 10 décembre 1985, n° 84-15.208). 
  2. Conception de l'enfant prouvée : Il doit être prouvé que l'enfant a été conçu à la date où ses droits sont en jeu (par exemple, au moment du décès du parent pour une question de succession). Il convient de rappeler que l’article 311 du code civil a instauré la règle relative à la période légale de conception de l’enfant. Ainsi, la loi présume que l'enfant a été conçu pendant la période qui s'étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance. 

    La conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l'intérêt de l'enfant. Cependant, cette présomption peut être combattue par des preuves contraires. 

  3. Naissance vivante et viable de l'enfant : L'enfant doit naître vivant et capable de vivre. Si l'enfant est mort-né ou s'il meurt rapidement après la naissance sans avoir été viable, il ne pourra pas bénéficier des droits prévus.

Applications pratiques de la règle infans conceptus

Un arrêt fondateur de la Cour de cassation appliquant la théorie infans conceptus

Cour de cassation, Chambre civile 1, 10 décembre 1985, 84-14.328, Publié au bulletin

Sur le moyen unique : vu le principe selon lequel l'enfant conçu est réputé né chaque fois qu'il y va de son intérêt ;

Attendu que Bernard y..., au service de la société comex, avait adhéré, le 20 août 1979, à une police d'assurance-groupe souscrite par son employeur pour son personnel auprès de la compagnie européenne d'assurances sur la vie (Euravie), laquelle garantissait, en cas de décès, le paiement d'un capital d'un montant de 200 % du salaire de base, majoré de 30 % par enfant à charge vivant au foyer de l'assuré ;

Que Bernard y..., déjà père de trois enfants, dont deux issus d'un premier mariage, a désigné comme bénéficiaire de l'assurance-groupe sa seconde épouse, Brigitte y..., née x... et, à défaut, ses enfants ;

Qu'il est décédé le 1er mars 1980 ;

Que Mme y... a mis au monde deux jumeaux le 24 mai 1980 ;

Que la compagnie Euravie lui a réglé la somme de 522.300 francs mais a refusé de tenir compte des deux enfants qui n'étaient pas nés au moment de la réalisation du risque ;

Que Mme y... a, le 30 juillet 1981, assigné cet assureur en paiement de la somme complémentaire de 108.062 francs, 25 ;

Attendu que l'arrêt attaqué a rejeté sa demande, aux motifs essentiels que la seule bénéficiaire contractuellement désignée de l'assurance décès était Mme y..., que la clause de la police était "envisagée comme une notion de seul fait" et que les enfants simplement conçus dont il s'agit ne vivaient pas au foyer de l'assuré" ;

Attendu, cependant, que si les conditions d'application du contrat d'assurance décès doivent être appréciées au moment de la réalisation du risque, la détermination des enfants à charge vivant au foyer, doit être faite en se conformant aux principes généraux du droit, spécialement à celui d'après lequel l'enfant conçu est réputé né chaque fois qu'il y va de son intérêt, étant observé que la majoration du capital-décès, lorsqu'il existe des enfants à charge, est destinée à faciliter l'entretien de ces enfants ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, en écartant, pour le calcul de la majoration du capital-décès, les enfants simplement conçus et qui, en l'espèce, sont nés viables, la cour d'appel a violé la règle et le texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule l'arrêt rendu le 24 mai 1984, entre les parties, par la Cour d'appel de paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en la chambre du conseil ;

En droit des successions

L’un des domaines où la théorie infans conceptus est la plus souvent appliquée est celui des successions. Un enfant conçu peut hériter des biens de ses parents décédés avant sa naissance, à condition qu'il naisse vivant et viable (C. civ., art. 725).

Exemple : Si une personne décède en laissant une épouse enceinte, l'enfant à naître sera considéré comme héritier dès lors qu'il est prouvé qu'il a été conçu avant le décès et qu'il naît vivant.

L'application de la règle infans conceptus en droit des obligations

Dans un arrêt rendu le 11 février 2021, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a dit que "l'enfant qui était conçu au moment du décès de la victime directe de faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut demander réparation du préjudice que lui cause ce décès".

Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 11 février 2021, 19-23.525, Publié au bulletin

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 16 mai 2019), K... S... a été tué par arme blanche le [...] 2014 et l'auteur des faits a été déclaré coupable de meurtre par une cour d'assises. 2. Agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure Q... E..., née le [...] , Mme J... S..., fille de K... S..., après avoir obtenu, par un arrêt civil rendu par cette cour d'assises, une certaine somme à titre de dommages et intérêts, a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) pour voir réparer le préjudice moral subi par sa fille.

Examen du moyen

(...)

Réponse de la Cour

5. L'enfant qui était conçu au moment du décès de la victime directe de faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut demander réparation du préjudice que lui cause ce décès. 6. Ayant relevé que Q... E... était déjà conçue au moment du décès de son grand-père, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a estimé que Q... E..., privée par un fait présentant le caractère matériel d'une infraction de la présence de son grand-père dont elle avait vocation à bénéficier, souffrait nécessairement de son absence définitive, sans avoir à justifier qu'elle aurait entretenu des liens particuliers d'affection avec lui si elle l'avait connu, et a déclaré la demande d'indemnisation de son préjudice moral recevable. 7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS

, la Cour : REJETTE le pourvoi ;

Les limites de l'adage infans conceptus

Malgré son importance, la théorie infans conceptus est limitée, car elle exige que l'enfant soit né vivant et viable pour que le droit qui lui est reconnu puisse être exercé.

 


Exercices sur l'adage infans conceptus

I. QCM (Choisir une réponse correcte)

  1. La théorie de l'infans conceptus permet à un enfant conçu de :

    • A) Hériter uniquement si ses deux parents sont décédés
    • B) Acquérir des droits à condition de naître vivant et viable
    • C) Acquérir des droits dès la conception, même s’il est mort-né
  2. En cas de succession, pour qu'un enfant conçu puisse hériter :

    • A) Il doit être né avant le décès du parent
    • B) Il doit prouver qu'il était conçu au moment du décès du parent et naître vivant
    • C) Il doit être l’aîné des enfants de la famille

II. Cas pratique

Monsieur X décède dans un accident de la route. Sa compagne, Madame Y, est enceinte de trois mois au moment du décès. Monsieur X laisse une maison et un compte bancaire bien garnis en héritage. Madame Y souhaite savoir si leur futur enfant pourra hériter de Monsieur X. Discutez des conditions nécessaires pour que l’enfant puisse être considéré comme héritier, en vous fondant sur la théorie infans conceptus.


Correction des exercices sur l'adage infans conceptus

I. Correction du QCM

  1. La théorie infans conceptus permet à un enfant conçu de :

    • Bonne réponse : B) Acquérir des droits à condition de naître vivant et viable
    • Explication : La théorie infans conceptus permet à un enfant conçu d'être considéré comme une personne juridique sous réserve qu'il naisse vivant et viable. Il ne peut pas acquérir de droits s'il est mort-né ou non viable.
  2. En cas de succession, pour qu'un enfant conçu puisse hériter :

    • Bonne réponse : B) Il doit prouver qu'il était conçu au moment du décès du parent et naître vivant
    • Explication : Selon l'article 725 du Code civil, l'enfant conçu au moment du décès d'un parent peut hériter si deux conditions sont remplies : il doit être prouvé qu'il était conçu avant le décès, et il doit naître vivant et viable.

II. Correction du cas pratique

Résumé des faits :

Une homme décède dans un accident de la route. Sa compagne est enceinte de trois mois au moment du décès. 

Question de droit :

L'enfant à naître pourrait-il bénéficier de la succession de son père ?

Réponse sous forme de syllogisme :

Le débat doit porter en particulier sur la conception de l'enfant et la naissance. L'enfant à naître ne pourra bénéficier de l'héritage que s'il a été conçu au moment du fait à l'origine de ses droits. Par ailleurs, il doit naitre vivant et viable au moment de l'exercice des droits ==> voir l'article 725 du Code civil.

Madame Y est enceinte de trois mois au moment du décès de Monsieur X. Il est donc prouvé que l’enfant était déjà conçu au moment de la mort de Monsieur X. Cette première condition de la théorie infans conceptus est donc remplie.

Par ailleurs, pour que l’enfant puisse hériter des biens de Monsieur X, il devra naître vivant et viable. Si, à la naissance, l’enfant est vivant et apte à survivre, il sera considéré comme héritier.