L'adage infans conceptus en droit des personnes

La règle infans conceptus est un adage juridique important en droit français venant du droit romain.
I. Que veut dire l'adage infans conceptus ?
La règle infans conceptus est un principe juridique qui concerne la capacité juridique des enfants à naître liée à la notion de la personnalité juridique. Ce principe signifie que l'enfant simplement conçu mais pas encore né peut être reconnu comme une personne humaine. Cette règle permet donc de protéger les droits de l'enfant à naître, notamment dans les domaines patrimoniaux et successoraux.
II. Conditions d'application de l'adage infans conceptus
Pour que l'adage infans conceptus puisse s'appliquer, trois conditions sont nécessaires :
- Intérêt de l'enfant : L'adage infans conceptus ne s'applique que dans l'intérêt de l'enfant. En ce sens, la Cour de cassation a énoncé dans un arrêt de principe que " l'enfant conçu est réputé né chaque fois qu'il y a de son intérêt" (Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 10 décembre 1985, n° 84-15.208).
- Conception de l'enfant prouvée : Il doit être prouvé que l'enfant a été conçu à la date où ses droits sont en jeu (par exemple, au moment du décès du parent pour une question de succession). Il convient de rappeler que l’article 311 du code civil a instauré la règle relative à la période légale de conception de l’enfant. Ainsi, la loi présume que l'enfant a été conçu pendant la période qui s'étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance.
La conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l'intérêt de l'enfant. Cependant, cette présomption peut être combattue par des preuves contraires.
- Naissance vivante et viable de l'enfant : L'enfant doit naître vivant et capable de vivre. Si l'enfant est mort-né ou s'il meurt rapidement après la naissance sans avoir été viable, il ne pourra pas bénéficier des droits prévus.
III. Applications pratiques de la règle infans conceptus
La règle infans conceptus en droit des assurances
Cour de cassation, Chambre civile 1, 10 décembre 1985, 84-14.328, Publié au bulletin
Dans son attendu de principe, l'arrêt de la Cour de cassation rappelle que "l'enfant conçu est réputé né chaque fois qu'il y va de son intérêt".
En l'espèce, un salarié avait adhéré, le 20 août 1979, à une police d'assurance-groupe souscrite par son employeur pour son personnel auprès de la compagnie européenne d'assurances sur la vie (Euravie), laquelle garantissait, en cas de décès, le paiement d'un capital d'un montant de 200 % du salaire de base, majoré de 30 % par enfant à charge vivant au foyer de l'assuré.
Le salarié, déjà père de trois enfants, dont deux issus d'un premier mariage, a désigné comme bénéficiaire de l'assurance-groupe sa seconde épouse et, à défaut, ses enfants.
A la suite du décès du salarié survenu le 1er mars 1980, sa seconde épouse a accouché de deux jumeaux le 24 mai 1980.
L'assureur a réglé la somme de 522.300 francs mais a refusé de tenir compte des jumeaux qui n'étaient pas nés au moment de la réalisation du risque, c'est-à-dire au moment du décès de leur père.
La mère des jumeaux a, le 30 juillet 1981, assigné cet assureur en paiement de la somme complémentaire de 108.062 francs.
A la suite d'un jugement, un appel a été interjeté.
La cour d'appel a rejeté le demande de la mère, aux motifs que la seule bénéficiaire contractuellement désignée de l'assurance décès était Mme y (la mère), que la clause de la police était "envisagée comme une notion de seul fait" et que les enfants simplement conçus dont il s'agit ne vivaient pas au foyer de l'assuré".
La mère s'est alors pourvue en cassation.
L'arrêt d'appel a été censuré et cassée par la Cour de cassation jugeant que "si les conditions d'application du contrat d'assurance décès doivent être appréciées au moment de la réalisation du risque, la détermination des enfants à charge vivant au foyer, doit être faite en se conformant aux principes généraux du droit, spécialement à celui d'après lequel l'enfant conçu est réputé né chaque fois qu'il y va de son intérêt, étant observé que la majoration du capital-décès, lorsqu'il existe des enfants à charge, est destinée à faciliter l'entretien de ces enfants".
En écartant, pour le calcul de la majoration du capital-décès, les enfants simplement conçus et qui, en l'espèce, sont nés viables, la cour d'appel a violé la règle infans conceptus.
La règle infans conceptus en droit successoral
L’un des domaines où la règle infans conceptus est la plus souvent appliquée est celui des successions.
En droit positif, l'article 725 du Code civil prévoit que "pour succéder, il faut exister à l'instant de l'ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable".
Exemple : Si une personne décède en laissant une épouse enceinte, l'enfant à naître sera considéré comme héritier dès lors qu'il est prouvé qu'il a été conçu avant le décès et qu'il naît vivant.
La règle infans conceptus en droit des obligations
Dans un arrêt rendu le 11 février 2021, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a dit que "l'enfant qui était conçu au moment du décès de la victime directe de faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut demander réparation du préjudice que lui cause ce décès".
Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 11 février 2021, 19-23.525, Publié au bulletin
En l'espèce, un homme a été tué par arme blanche en 2014. L'auteur des faits a été déclaré coupable de meurtre par une cour d'assises.
Une des filles de l'homme assassiné agissant en qualité de représentante légale de sa propre fille mineure, a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) pour voir réparer le préjudice moral subi par sa fille qui est la petite-fille de l'homme assassiné. Il est à noter que cette petite-fille n'est pas née au moment du décès de son grand-père. A-t-elle donc droit à la réparation du préjudice moral ?
L'affaire remonte jusqu'à la Cour de cassation.
En substance, la Cour de cassation dit que "l'enfant qui était conçu au moment du décès de la victime directe de faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut demander réparation du préjudice que lui cause ce décès".
Au cas précis, la petite-fille était déjà conçue au moment du décès de son grand-père.
La Cour de cassation a ajouté que c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a estimé que cette petite-fille, privée par un fait présentant le caractère matériel d'une infraction de la présence de son grand-père dont elle avait vocation à bénéficier, souffrait nécessairement de son absence définitive, sans avoir à justifier qu'elle aurait entretenu des liens particuliers d'affection avec lui si elle l'avait connu, et a déclaré la demande d'indemnisation de son préjudice moral recevable.
La règle infans conceptus en droit du travail
Cour d'appel de Nancy, 31 octobre 2011, n° 10/02793
En l'espèce, une femme, aide médico-psychologique, est employée au sein de l'association AEIM depuis le 6 octobre 1986.
A la suite de la naissance de son troisième enfant, le 7 août 1999, elle a assigné son employeur devant le conseil de prud'hommes de Nancy en paiement de la majoration familiale prévue par l'article 3 de l'annexe I à la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées ou handicapées.
A la suite d’un jugement, la salariée a interjeté appel devant la cour d’appel de Nancy ayant rendu un arrêt infirmatif. L’employeur a alors formé un pourvoi contre cet arrêt.
Par arrêt du 10 novembre 2009, la Cour de cassation a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé, remis en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Metz.
Aux termes de son arrêt, la Cour de cassation a, au visa de l'article 17 de l'accord cadre du 12 mars 1999 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans les organismes compris dans le champ d'application de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées ou handicapées du 15 mars 1966, relevé que pour accueillir la demande, l'arrêt avait énoncé que si l'article 17 susvisé prévoyait expressément que la suppression de la majoration familiale de salaire s'appliquait à compter du 1er juillet 1999, il résultait clairement des termes de cet article que cette suppression était une contrepartie du maintien de la rémunération après passage aux 35 heures et que raisonner autrement reviendrait à supprimer unilatéralement un avantage social sans contrepartie pour les salariés continuant à travailler 39 heures au-delà du 1er juillet 1999, ce qui ne correspondait ni à la nature ni à la portée des négociations entre partenaires sociaux.
Or, la Cour de cassation a estimé qu'il résultait du texte susvisé qu'en contrepartie du maintien de la rémunération après passage aux 35 heures, la majoration familiale de salaire était supprimée à compter du 1er juillet 1999 et que les salariés qui, à la date de l'application de l'accord, en bénéficiaient au titre de droits déjà ouverts, en conservaient l'avantage jusqu'à son extinction dans la limite du montant déjà atteint. Elle a dès lors retenu qu'en statuant comme elle l'avait fait, alors qu'au 1er juillet 1999, la salariée ne bénéficiait d'aucun droit ouvert à la majoration familiale, son troisième enfant étant né en août suivant, la cour d'appel avait violé le texte susvisé.
La cour d’appel de renvoi a statué dans les termes suivants.
Invoquant l'adage infans conceptus, la salariée fait valoir que la qualité d'enfant à charge est reconnue à l'embryon ou au fœtus. Elle en déduit qu'elle disposait au moment où la suspension du 1er juillet 1999 est intervenue d'un droit à majoration familiale puisque Jules était déjà conçu.
L’employeyr rétorque que les applications de l'adage infans conceptus sont exceptionnelles, que l'appelante ne peut sérieusement prétendre qu'elle était pour la période considérée chargée de famille alors que l'enfant n'était pas né et que les droits acquis évoqués par la convention concernent exclusivement les enfants déjà nés.
D'après l'article 3 de l'annexe n°1 de la convention collective susvisée, le droit au bénéfice de la majoration familiale est déterminé en fonction de la notion d'enfant à charge fixée par le titre II du livre V du code de la sécurité sociale. Il résulte de l'article L 521-2 du code de la sécurité sociale alors en vigueur, compris dans le titre II précité, que l'enfant est à la charge de la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, sa charge effective et permanente.
La notion de charge effective et permanente est donc liée à une réalité concrète et matériellement vérifiable, contraire à la fiction sur laquelle repose la règle suivant laquelle l'enfant conçu est réputé né chaque fois qu'il y va de son intérêt. Ainsi, la salariée ne peut soutenir qu'elle assumait la charge effective et permanente de Jules avant le 1er juillet 1999 et ne saurait dès lors prétendre qu'elle bénéficiait, à cette date, d'un droit ouvert à la majoration familiale au titre de son troisième enfant à naître.
IV. Exercices sur l'adage infans conceptus
A. QCM (Choisir une réponse correcte)
La théorie de l'infans conceptus permet à un enfant conçu de :
- A) Hériter uniquement si ses deux parents sont décédés
- B) Acquérir des droits à condition de naître vivant et viable
- C) Acquérir des droits dès la conception, même s’il est mort-né
En cas de succession, pour qu'un enfant conçu puisse hériter :
- A) Il doit être né avant le décès du parent
- B) Il doit prouver qu'il était conçu au moment du décès du parent et naître vivant
- C) Il doit être l’aîné des enfants de la famille
B. Cas pratique
Monsieur X décède dans un accident de la route. Sa compagne, Madame Y, est enceinte de trois mois au moment du décès. Monsieur X laisse une maison et un compte bancaire bien garnis en héritage. Madame Y souhaite savoir si leur futur enfant pourra hériter de Monsieur X. Discutez des conditions nécessaires pour que l’enfant puisse être considéré comme héritier, en vous fondant sur la théorie infans conceptus.
V. Correction des exercices sur l'adage infans conceptus
A. Correction du QCM
La théorie infans conceptus permet à un enfant conçu de :
- Bonne réponse : B) Acquérir des droits à condition de naître vivant et viable
- Explication : La théorie infans conceptus permet à un enfant conçu d'être considéré comme une personne juridique sous réserve qu'il naisse vivant et viable. Il ne peut pas acquérir de droits s'il est mort-né ou non viable.
En cas de succession, pour qu'un enfant conçu puisse hériter :
- Bonne réponse : B) Il doit prouver qu'il était conçu au moment du décès du parent et naître vivant
- Explication : Selon l'article 725 du Code civil, l'enfant conçu au moment du décès d'un parent peut hériter si deux conditions sont remplies : il doit être prouvé qu'il était conçu avant le décès, et il doit naître vivant et viable.
B. Correction du cas pratique
Résumé des faits :
Une homme décède dans un accident de la route. Sa compagne est enceinte de trois mois au moment du décès.
Question de droit :
L'enfant à naître pourrait-il bénéficier de la succession de son père ?
Réponse sous forme de syllogisme :
Le débat doit porter en particulier sur la conception de l'enfant et la naissance. L'enfant à naître ne pourra bénéficier de l'héritage que s'il a été conçu au moment du fait à l'origine de ses droits. Par ailleurs, il doit naitre vivant et viable au moment de l'exercice des droits ==> voir l'article 725 du Code civil.
Madame Y est enceinte de trois mois au moment du décès de Monsieur X. Il est donc prouvé que l’enfant était déjà conçu au moment de la mort de Monsieur X. Cette première condition de la théorie infans conceptus est donc remplie.
Par ailleurs, pour que l’enfant puisse hériter des biens de Monsieur X, il devra naître vivant et viable. Si, à la naissance, l’enfant est vivant et apte à survivre, il sera considéré comme héritier.