La cassation pour manque de base légale selon J-P ANCEL, ancien président de chambre à la Cour de cassation
Dans le cadre de mon enseignement de méthodologie juridique, j'ai pu trouver un texte passionnant et rare en la matière. Mais étrangement, il ne fait pas l'objet de diffusion. Il est plutôt méconnu et non référencé. Ainsi, j'ai le plaisir de vous partager un texte de Monsieur Jean-Pierre ANCEL prononcé à l'occasion de "Cycle Droit et technique de cassation" en date du 3 décembre 2019. Jean-Pierre ANCEL était président de chambre à la Cour de cassation. Il était naturellement confronté à la technique de cassation.
Ce texte s'intitule "le manque de base légale", comportant 11 pages dactylographiées. Sa valeur est inestimable. Son contenu est tellement exquis que l'on peut avaler en quelques minutes. Il contribue, à mon sens, à la compréhension de la logique des décisions de la Cour de cassation. Il est rarissime que l'on explique aux étudiants en droit le sens des contrôles exercés par la Cour de cassation. Le texte de Jean-Pierre ANCEL permet de pallier à cette absence.
Vous trouverez ci-dessous l'explication de Jean-Pierre ANCEL.
PLAN DE LECTURE
« Le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit ». (Art 604 CPC)
Le recours extraordinaire qu’est le pourvoi en cassation est soumis à des cas d’ouverture en nombre limité. La justice est, en effet, rendue souverainement par les juges du fond, qui statuent en fait et en droit.
En ce qui concerne le fond du droit, le cas d’ouverture est la violation de la loi. Les textes anciens parlaient de « contravention expresse à la loi ». Pour prononcer une cassation, il fallait constater une violation expresse à un texte ayant valeur de loi. Et la Cour de cassation a décliné les diverses formes de cette contravention à la loi : méconnaissance directe, fausse interprétation, fausse application, refus d’application.
Cependant, cette panoplie de cas de cassation est rapidement apparue insuffisante pour censurer des jugements qui comportaient des motifs, mais des motifs insuffisants pour permettre de vérifier si la loi avait été correctement appliquée par les juges. Au regard du texte applicable – et appliqué – le jugement apparaît comme insuffisant dans sa motivation ; sa « base légale » est incomplète, voire absente. La Cour de cassation a rapidement admis qu’il y avait là un cas d’ouverture à cassation – et ce, dès le début du 19ème siècle. Ce cas a pris – au début du 20ème siècle – la dénomination de « manque de base légale ».
Et il a connu un développement important, jusqu’à devenir un cas d’ouverture « fourre-tout », au point que l’on pourrait toujours casser un arrêt pour manque de base légale !
Voyons ce qu’il en est.
Essai d’une définition de manque de base légale
En principe, le manque de base légale traduit un défaut de motivation, d’où découle une mauvaise application du droit.
La décision des juges du fond est incomplète au regard du texte appliqué ; elle ne comporte pas tous les éléments qui permettent de mettre en œuvre la règle de droit.
Prenons l’exemple le plus simple : les juges font application de l’article 1382 ; ils retiennent l’existence d’une faute et d’un préjudice, mais ils omettent de caractériser le lien de causalité entre les deux – cependant condition nécessaire de l’application du texte. Leur décision comporte donc un grave défaut, le raisonnement juridique est incomplet, la décision « manque de base légale ».
Il existe donc une parenté évidente entre manque de base légale, d’une part, et défaut de motifs ou violation de la loi, d’autre part. Le manque de base légale serait donc « une sorte de » défaut de motifs, ou de violation de la loi.
Il y a, en fait, une carence dans la motivation, qui conduit à une erreur dans l’application de la règle de droit.
Le manque de base légale se distingue donc nettement du défaut de motifs et de la violation de la loi :
- ce n’est pas un défaut de motifs – qui serait sanctionné comme tel, sans que le fond du droit soit abordé. Il s’agit d’une insuffisance de motifs. Les motifs existent, mais ils ne suffisent pas à démontrer que la règle de droit a été exactement appliquée.
- Ce n’est pas davantage une violation de la loi, à proprement parler, mais l’insuffisance de motifs ne permet pas de dire si la règle de droit a été correctement mise en œuvre.
Si nous reprenons notre exemple : il y a une insuffisance de motifs au regard des conditions légales de la responsabilité civile, qui exigent la réunion des trois éléments ; le juge devait relever un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
Il en résulte, non une violation de la loi (1382 CCIV) à proprement parler, mais une mauvaise application du texte. Le jugement censuré manque de base légale.
Nous sommes donc en présence, à la fois, d’une défaillance de motivation – s’apparentant au défaut de motifs, vice majeur des jugements – et d’une mise en œuvre incorrecte de la règle de droit – assez proche, il faut le reconnaître, d’une violation de la loi.
Nous pourrions donc conclure de tout cela que le manque de base légale participe de la double nature du défaut de motifs et de la violation de la loi. C’est un défaut de motivation qui entraîne une mauvaise application de la loi. Deux bonnes raisons, donc, de censurer la décision qui contient ce double vice.
Le manque de base légale serait-il, alors, le cas d’ouverture « idéal » du recours en cassation ? Henri Motulsky n’était pas loin de le penser, en qualifiant le manque de base légale de « pierre de touche de la technique juridique » (H. Motulsky, in « Ecrits – Etudes et notes de procédure civile », Dalloz, 1973, p. 31 s.). Le manque de base légale est alors défini comme « une faille dans le raisonnement juridique, autrement dit une faute de technique juridique ».
Du moins le manque de base légale « parfait », le modèle, qui démontre que le juge a omis, dans son application de la règle de droit, un élément essentiel de cette règle : il y a donc une erreur de droit. Mais, le plus souvent, le manque porte sur la constatation des faits ; c’est donc une défaillance de la motivation de fait – et non de droit – qui est sanctionnée. Pour reprendre notre exemple, il fallait que le juge explique pourquoi la faute retenue avait causé le préjudice.
Nous nous trouvons donc à la confluence du fait et du droit. L’exemple montre bien que c’est le fait qui détermine le droit (Cf. sur ce point les pénétrantes analyses de Philippe Blondel in Mélanges en l’honneur d’André Ponsard : « Le manque de base légale, son avenir ».). Le manque de base légale « parfait » recouvre le cas de « l’insuffisance des constatations de fait au regard de la règle de droit mise en œuvre » (Ph.Blondel, op. cit. - Cette définition est reprise par les auteurs : E. Faye, A. Besson, J. Boré, A. Perdriau, Y. Chartier, M-N et X Bachellier).
Le juge de cassation va préciser, dans chaque cas, quelles sont les « constatations nécessaires » à la mise en œuvre de la règle de droit considérée.
(L’on remarquera que, dans le bulletin des arrêts, les « titres » des arrêts de cassation pour manque de base légale se terminent par « Constatations nécessaires » - les arrêts de rejet du même grief se terminant par « Constatations suffisantes »).
Et cette insuffisance de constatation de faits indispensables à la mise en œuvre du droit apparaît bien comme la condition nécessaire du manque de base légale. En effet, si les constatations de fait du juge sont complètes et suffisantes, l’application de la règle étant erronée, le juge de cassation pourra toujours procéder par substitution d’un motif de pur droit au motif de droit erroné du jugement attaqué. Alors que si les constatations de fait sont insuffisantes, le juge de la légalité – tenu par la distinction du fait et du droit – ne pourra pas intervenir.
Mais il reste que, si l’insuffisance de la motivation du juge du fond concerne le fait, l’erreur qui en découle est une erreur de droit, consistant en une mauvaise application de la règle de droit ; le juge a fait application de la responsabilité civile, alors que ses constatations de fait ne le lui permettaient pas.
Le manque de base légale a donc pour effet de censurer une erreur de droit des juges du fond. En cela, ce cas d’ouverture répond parfaitement à la définition de la cassation, en ce qu’il permet de sanctionner « la non-conformité du jugement à la règle de droit », selon l’article 604 CPC.
Mécanisme du manque de base légale
(V. J. Boré « La cassation en matière civile », n°2012 et s. A. Besson, Encycl. Dalloz, Cassation, n° 1448 et s.)
Deux remarques générales s’imposent ici :
1- Le grief de manque de base légale échappe à l’exception de nouveauté.
2- Le grief ne s’applique pas aux seules qualifications contrôlées par la Cour de cassation.
Le moyen n’est pas nouveau
On sait que le moyen, mélangé de fait et de droit, qui n’a pas été proposé aux juges du fond, est irrecevable comme « nouveau ». Il s’agit, évidemment, d’une application du principe selon lequel la Cour de cassation ne peut connaître du fait, réservé à l’appréciation souveraine des juges du fond.
Le manque de base légale échappe à la nouveauté, du simple fait que ce moyen ressort de la décision attaquée elle-même ; il est révélé par cette décision ; il ne peut donc être considéré comme nouveau.
Le moyen s’applique hors du domaine des qualifications contrôlées par la Cour de cassation
Il est certain que le domaine des qualifications juridiques contrôlées par la Cour de cassation sera le domaine privilégié du manque de base légale : ainsi de la notion de faute en matière de responsabilité civile.
Mais le contrôle de légalité de la Cour de cassation s’exerce également dans le domaine de l’appréciation souveraine des juges du fond ; la Cour doit vérifier que les juges du fond ont effectivement exercé leur pouvoir souverain d’appréciation sur tel élément d’une définition légale, non contrôlée par la Cour de cassation. Ainsi, si l’erreur substantielle est laissée au pouvoir souverain, la Cour de cassation censure l’arrêt qui a omis de rechercher si, dans une vente d’œuvre d’art, les vendeurs n’avaient pas agi « dans la conviction erronée » que l’œuvre n’était pas d’un grand maître (1° civ, 22 février 1978 D.78,601, note Malinvaud).
L’appréciation des juges du fond est souveraine, mais la Cour de cassation contrôle qu’elle s’exerce dans le respect de la définition légale.
Pour ce qui est du fonctionnement du manque de base légale, force est de constater que la jurisprudence est foisonnante et, à dire vrai, peu précise, laissant apparaître le caractère très souple du grief de manque de base légale. Trop souple, d’ailleurs, car ce grief autorise la remise en cause du fait souverainement jugé par les juges du fond.
Ainsi, à côté du manque de base légale « parfait », il existe le « pseudo » - manque de base légale qui, prenant l’apparence du grief, ne tend en réalité qu’à remettre en cause l’appréciation des faits. Le « modèle » de ce type de grief est le pourvoi formé en matière de divorce pour faute, reprochant à la cour d’appel un manque de base légale au regard de l’article 242 du code civil pour avoir retenu – ou rejeté- l’existence de la faute alléguée à l’encontre d’un époux.
Le manque de base légale parfait – nous l’avons vu – suppose que l’appréciation de fait omise conditionne l’application de la règle de droit ; le véritable manque de base légale se caractérise donc par la proximité du fait avec l’application de la norme.
Quant à la forme des arrêts de la Cour de cassation statuant sur le moyen de manque de base légale, il suffit d’indiquer :
- que les arrêts de rejet du grief, après avoir relevé les motifs jugés suffisants, concluent : « Qu’en l’état de ses constatations ou énonciations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ».
- que les arrêts de cassation précisent que la cour d’appel « s’est bornée à... » et a statué « sans rechercher… ; sans préciser... ; sans s’expliquer sur... ; sans constater… ou relever ... », en quoi la cour d’appel « n’a pas donné de base légale à sa décision» , ou « n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle » (V. A.Perdriau, « La pratique des arrêts civils de la Cour de cassation, n° 45 s.)
Après avoir envisagé la nature et le mécanisme du manque de base légale, il nous reste à préciser quelles sont ses fonctions.
Fonctions du manque de base légale
Sa fonction principale, nous venons de la définir : c’est la censure d’un jugement non-conforme à la règle de droit.
Mais ce cas d’ouverture original a d’autres fonctions : pédagogique, d’abord, et, plus généralement, à l’égal de la violation de la loi, une fonction de création ou de précision de la norme juridique.
Fonction pédagogique du manque de base légale
D’un point de vue en quelque sorte pédagogique, la cassation pour manque de base légale va avoir une fonction d’orientation à l’égard du juge de renvoi. Bien souvent, cette forme de cassation sera, pour cela, préférée à la violation de la loi, par ailleurs caractérisée.
Il s’agit, en soulignant la carence d’un jugement, d’indiquer au juge de renvoi dans quel sens et par quel raisonnement juridique il convient de statuer.
Un exemple typique est donné par un arrêt de la 1ère chambre civile du 3 janvier 2006.
La juge français avait fait droit à la fin de non-recevoir tirée de l’existence d’un divorce prononcé au Maroc, sans vérifier que ce jugement étranger satisfaisait aux conditions de régularité internationale posées par les Conventions franco-marocaines et le Protocole n°VII additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
L’arrêt de la cour d’appel est cassé, pour manque de base légale, les juges du fond s’étant borné à retenir que le divorce avait été prononcé par les juridictions marocaines
« sans rechercher si la décision étrangère, pour être reconnue en France, respectait toutes les conditions de régularité internationale, notamment au regard de l’ordre public international de procédure et de fond ».
Nous sommes ici très près d’une violation de la loi, par refus d’application. Mais le juge de cassation a préféré expliquer au juge de renvoi ce qu’il convenait de faire – et que n’avait pas fait le juge cassé : vérifier la régularité internationale du jugement étranger au regard des textes internationaux applicables, et plus spécialement au regard de l’ordre public international (allusion, ici, à la jurisprudence restrictive sur les répudiations prononcées, notamment, au Maroc).
Il s’agit bien d’un manque de base légale parfait : il existe une insuffisance de motivation qui porte sur un élément légal (la vérification de la régularité internationale du jugement étranger), mélangé de fait et de droit, et cette carence conduit à une erreur dans l’application de la règle de droit.
Fonction normative du manque de base légale
Nous renvoyons ici à l’étude, approfondie, que Dominique Foussard a consacré à la question dans « La Cour de cassation et l’élaboration du droit « -Economica -2004 sous le titre : « Manque de base légale et création de la règle ».
Nous nous proposons de montrer comment le manque de base légale, à l’instar de la violation de la loi, participe à l’œuvre normative de la Cour de cassation.
Cette œuvre normative se manifeste de plusieurs façons – principalement deux :
- soit la Cour de cassation donne l’interprétation de la norme,
- soit elle contribue à son évolution, allant parfois jusqu’à la création d’une norme nouvelle. C’est le rôle purement créateur de droit de la Cour de cassation.
Voyons comment notre manque de base légale peut s’insérer dans ce processus normatif.
Bien entendu, traditionnellement, l’on affirme que le rôle créateur de la Cour de cassation s’exprime par le moyen de la violation de la loi. C’est, en effet, en censurant cette violation que la Cour va avoir l’occasion d’énoncer sa doctrine, sous la forme de l’attendu de principe – appelé familièrement « chapeau »- qui va donner tous les éléments de la règle méconnue.
Cette opinion doit cependant être nuancée, car de nombreux arrêts de rejet ont un contenu normatif important, parfois créateur de normes. Ainsi, dans le droit de l’arbitrage international – par nature de source essentiellement jurisprudentielle -, les règles fondamentales ont été souvent posées par des arrêts de rejet. Ainsi, le principe fondateur de l’autonomie de la clause d’arbitrage trouve t-il son origine dans un arrêt de rejet (l’arrêt Gosset, du 7 mai 1963, Bull. n°246 (1)), dont la doctrine a été précisée par un autre arrêt de rejet (Dalico, du 20 décembre 1993, Bull. n° 372). De même, l’affirmation de l’arbitrabilité du litige relatif à un contrat international conclu par une personne publique résulte d’une rédaction au rejet (Galakis, 2 mai 1966, D. p.575). Or, il ne s’agissait rien de moins que d’écarter la prohibition de compromettre pour les personnes publiques, résultant des textes.
La créativité jurisprudentielle n’est donc pas réservée aux seuls arrêts de cassation. Et elle ne s’exprime pas seulement dans les arrêts de cassation pour violation de la loi.
Un résultat à peu près équivalent – l’élégance de rédaction en moins – peut être obtenu au moyen d’une cassation pour manque de base légale.
Quant à l’interprétation de la norme
Reprenons l’exemple – déjà cité – de la cassation d’un arrêt qui avait rejeté l’action en nullité de la vente d’un tableau pour erreur sur la substance. La cassation intervient pour manque de base légale ; il est reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le vendeur – qui avait cru vendre une œuvre mineure, alors qu’après la vente, le tableau avait été attribué à un grand maître - n’avait pas agi, au moment de la vente « dans la conviction erronée » que l’œuvre n’était pas de la main du maître.
Voici livrée une forme de définition de l’erreur sur la substance par la Cour de cassation, et donc, une condition d’application de ce vice du consentement. Nous sommes bien dans le domaine du droit, mais c’est au juge du fond de rechercher la circonstance de fait (la « conviction erronée ») qui va déterminer l’application du droit.
Ici, le manque de base légale a servi à préciser la notion juridique d’erreur sur la substance et les conditions de sa mise en œuvre.
Quant à l’affirmation de la norme
Le manque de base légale est, pour la Cour de cassation, l’occasion de réaffirmer la norme méconnue par les juges du fond.
Dans le droit de l’arbitrage est énoncé un principe fondamental, « selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer sur sa propre compétence ». La jurisprudence en a déduit une règle de priorité de la compétence arbitrale par rapport à la compétence du juge étatique, lorsqu’il est saisi. Le juge étatique doit donc se déclarer incompétent et renvoyer le litige aux arbitres, sous une seule exception : qu’il constate que la convention d’arbitrage est « manifestement nulle ou inapplicable ». C’est la seule hypothèse dans laquelle la juridiction de l’Etat peut se déclarer compétente à l’égard d’un litige soumis à l’arbitrage.
La Cour de cassation contrôle très strictement l’application de cette règle, et casse la décision du juge étatique qui se reconnaît compétence sans relever le caractère nul ou inapplicable de la convention d’arbitrage.
Nous avons sur ce sujet un excellent exemple de cassation pour manque de base légale :
1° civ, 16 novembre 2004, Rev. Arb. 2005, p.674
L’arrêt de cassation relève que la cour d’appel s’est reconnue compétente pour un litige soumis à l’arbitrage, « sans relever la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, seule de nature à faire obstacle au principe susvisé, qui consacre la priorité de la compétence arbitrale pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de la convention d’arbitrage », et qu’ainsi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Bel exemple de « manque de base légale parfait », qui rappelle le juge du fond au respect de la norme juridique.
Autre exemple, le rappel à la norme, adressé au juge du fond qui a omis de faire application de la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant et, plus spécialement de la notion d’intérêt de l’enfant considéré comme « primordial », en vertu de l’article 3.1 du traité :
1° civ, 13 mars 2007, Bull. civ. I, n°103.
L’arrêt vise à la fois l’article 3.1 de la Convention de New York, et l’article 373-2 du code civil, selon lequel le juge statue sur la résidence de l’enfant « selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant ».
Dans un attendu de principe (« chapeau » de tête) il définit le contenu des normes visées.
Et dans le conclusif, il censure la cour d’appel qui a statué « par des motifs sans rapport avec l’intérêt de l’enfant considéré comme primordial, ce qu’elle n’a pas recherché », d’où il est conclu que la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Cet arrêt est remarquable en ce que – exactement comme l’aurait fait un arrêt de cassation pour violation de la loi – il comporte, en tête, un attendu de principe qui définit la doctrine de la Cour de cassation quant à l’application directe de l’article 3.1 de la Convention de New York.
Quant à la création de la norme
C’est le point ultime de la technique du manque de base légale ; le cas où ce moyen permet à la Cour de cassation de faire évoluer le droit.
L’exemple est tiré de la matière de l’exequatur des jugements étrangers. Les conditions de la reconnaissance et de l’exécution en France des jugements étrangers ont été définies par un arrêt célèbre de la 1ère chambre civile, du 7 janvier 1964 (Munzer, Grands arrêts de DIP, n° 41 p.367). Parmi ces conditions figurait que le juge étranger « ait fait application de la loi compétente d’après les règles de conflit françaises ».
L’évolution du droit international – et la confiance accrue dans les jugements étrangers – ont fait que cette condition est apparue comme excessive, en ce qu’elle imposait universellement les règles françaises de conflit de lois. La première chambre civile souhaitait l’abandonner, ou, à tout le moins, y substituer l’exigence que le juge étranger ait fait application de la loi « appropriée », c'est-à-dire de la loi la plus proche du litige.
L’abandon de cette exigence d’application, par le juge étranger, de la règle française de conflit de lois est intervenu en 2007 (Cornelissen, 20 février 2007, GP spécial Contentieux judiciaire international, n° 123 du 3 mai 2007, note M-L Niboyet).
L’arrêt qui nous intéresse est du 4 juillet 2006, donc antérieur à l’arrêt Cornelissen, mais il l’annonce, en quelque sorte. Voici comment :
Il s’agissait de l’effet en France d’un jugement suédois de reconnaissance de paternité naturelle. La cour d’appel avait admis la reconnaissance de ce jugement en France, en le considérant comme régulier, mais sans se prononcer sur la loi appliquée par le juge étranger.
L’arrêt est cassé, pour manque de base légale, la cour d’appel n’ayant pas recherché « si le jugement étranger remplissait toutes les conditions de régularité internationale tant au regard de la compétence du juge saisi, que de l’application au litige de la loi appropriée ».
Dans son conclusif de cassation, la 1ère chambre civile invite le juge de renvoi à vérifier que le juge étranger a bien fait application au litige « de la loi appropriée » - et non plus, comme l’exigeait l’arrêt Munzer, de la loi désignée par la règle de conflit française. L’évolution de la règle de droit est manifeste, et c’est la structure spécifique du manque de base légale qui a permis de la réaliser.
Aussi est-il permis de conclure – au moins provisoirement – que le manque de base légale est un véritable cas d’ouverture à cassation :
- en ce qu’il permet de censurer une forme d’erreur dans le raisonnement juridique des juges du fond, erreur suffisamment grave pour que la décision qui en est affectée ne puisse pas être maintenue ;
- en ce qu’il est l’un des modes d’exercice, par la Cour de cassation, de son activité normative, lui donnant l’occasion de préciser les conditions d’application de la loi, voire même de faire évoluer cette application.
En ce sens, l’on peut affirmer que le manque de base légale participe pleinement à l’œuvre de la Cour de cassation, en tant que gardienne du droit.