Droit des sociétés et droit commercial

Une agente commerciale immobilière condamnée à verser plus de 100 000 € à une société avec laquelle elle a collaboré, pour violation de la clause de non-détournement de clientèle.

Agent immobilier

Résumé : En cas de rupture du contrat d'agence commerciale immobilière, la violation de la clause de non-détournement de clientèle expose l'agent commercial à des dommages-intérêts (Cour d'appel de Montpellier, Chambre commerciale, 30 avril 2024, 22/02819).

Par acte sous seing privé en date du 27 juillet 2020, avec effet à compter du 20 juillet 2020, la SAS Heritage Properties & Investment (ci-après le mandant), exerçant une activité de transactions immobilières et commerciales, a signé un mandat d'agent commercial à durée indéterminée avec Mme [Y] [C] (ci-après l'agente commerciale immobilière ou la mandataire).

Le mandat prévoit une zone principale d'activité. Le dépassement de la zone est soumis à l'accord préalable du mandant.

Il prévoit une clause de non-concurrence et une clause de non-détournement de clientèle.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 15 mars 2021, la présidente de la société Heritage Properties & Investment, a mis fin au mandat, fixant une date de fin effective au 15 avril 2021 à l'issue d'un préavis d'un mois sans compensation financière.

L'agente commerciale immobilière a saisi le tribunal de commerce de Béziers.

L'auteur de la rupture du contrat d'agence commerciale immobilière doit respecter un préavis.

Lorsque le contrat d'agence commerciale est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. L'article L. 134-11  du code de commerce prévoit les délais de préavis de rupture du contrat d'agent commercial à durée indéterminée. La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. 

Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure.

En l'espèce, le mandant a rompu le contrat d'agence avec un préavis d'un mois. Le préavis a été donc respecté.

Le droit à une indemnité compensatrice réservé à l'agent commercial immobilier en cas de rupture du contrat par le mandant

 

Selon l'article L. 134-12 de code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

L'article L. 134-13 du code de commerce précise que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée;

3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.

Il appartient au mandant, à l'initiative duquel le contrat a été rompu et qui s'oppose au paiement de l'indemnité compensatrice, de rapporter la preuve d'une faute grave de l'agent commercial, c'est-à-dire d'une faute, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

En l'absence de toute faute grave, l'agente commerciale immobilière est créancière d'une indemnité compensatrice.

Toutefois, cette indemnité a pour objet la réparation du préjudice, qui résulte pour l'agent commercial, de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle, ce préjudice comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties.

Or, il est établi que Mme [C] n'a perçu aucune commission pendant les huit mois du contrat d'agent commercial.

S'il n'est nullement contesté qu'elle a exercé une activité, elle ne justifie pas de l'existence d'actes authentiques, faisant suite à ses diligences, pour la signature desquels sa présence aurait été écartée afin qu'elle soit privée d'une commission.

Elle ne peut dès lors justifier d'une quelconque perte au titre de commissions qu'elle n'a ni perçues, ni aurait dû percevoir.

Mme [C] argue d'un préjudice découlant de la brutalité de la rupture, ayant entraîné un épisode dépressif. Toutefois, les courriels échangés entre les parties entre les 17 et 24 février 2021 montrent qu'elle avait conscience de l'existence de difficultés, puisqu'elle envisageait de partir, tandis que le certificat médical la concernant, en date du 30 mars 2021, faisant état d'un «syndrôme réactionnel dépressif'» sans autre précision, notamment, quant à sa durée, est insuffisamment probant pour établir que celui-ci résulte de la rupture eu égard au contexte délétère qu'illustre ladite correspondance.

Sa demande d'indemnité compensatrice et de dommages-intérêts sera rejetée.

L'absence de violation de la clause de non-concurrence stipulée dans le mandant d'agent commercial immobilier

Le contrat d'agent commercial immobilier comprend une clause de non-concurrence ainsi libellée : "En cas de cessation du présent mandat pour quelle que cause que ce soit, le MANDATAIRE s'interdit d'exercer des activités similaires, soit directement, soit indirectement, pendant une durée de 24 mois dans un rayon de 400 kilomètres autour du lieu d'établissement du MANDANT. Sans préjudice des procédures judiciaires que le MANDANT pourra engager, le non- respect de cet engagement rendra le MANDATAIRE redevable envers le MANDANT d'une indemnité forfaitaire d'un montant égal à celui des commissions qu'il aura perçues du MANDANT sur les douze derniers mois précédant la rupture du contrat."

Selon les éléments versés aux débats et non contestés, Mme [C] s'est installée en qualité d'agent immobilier par le biais de la SAS Kika Immobilier, immatriculée le 14 mai 2021, soit avant la fin de l'expiration du délai prévu par la clause de non-concurrence.

Toutefois, cette activité étant située à plus de 400 kilomètres (environ 420 kilomètres) du lieu d'établissement de la société Heritage Properties & Investment.

Aucune violation de la clause non-concurrence n'est caractérisée.

La violation de la clause de non-détournement de clientèle

Le contrat d'agent commercial prévoit également une clause de non-détournement de clientèle selon laquelle : "Durant l'année suivant l'expiration effective du présent mandat, et quelle que soit la raison pour laquelle il aura pris fin, le MANDATAIRE s'interdit de traiter de façon directe ou indirecte, pour son compte ou celui de tiers, des opérations portant sur des biens pour lesquels le MANDANT sera titulaire d'un mandat au jour du départ du MANDATAIRE. Le non-respect de cet engagement rendra le MANDATAIRE redevable à l'égard du MANDANT de dommages et intérêts d'ores et déjà fixés forfaitairement à la somme égale à celle des honoraires prévus au mandat de l'affaire détournée."

Cette clause est circonscrite aux seuls biens pour lesquels la société Heritage Properties & Investment était titulaire d'un mandat au jour du départ de Mme [C].

Si elle restreint sa possibilité de travailler au profit d'une société concurrente ou de créer elle-même une telle société, elle ne l'empêche pas de travailler dans son secteur, l'exclusion étant restreinte aux immeubles sous mandat de la société Heritage Properties & Investment lors de la rupture et limitée dans le temps à une année.

Cette clause, qui n'est pas une clause de non-concurrence, est parfaitement valable.

Si Mme [C] est entrée en relation avec le groupe Valaize, commercialisant un programme immobilier dans le cadre de son activité d'agent commercial au profit de la société Heritage Properties & Investment, et si un rendez-vous pour la signature de mandats de vente avait été pris par Mme [C] en février 2021, aucun mandat n'a été signé, le groupe Valaize ayant clairement indiqué à la société Heritage Properties & Investment par courriel du 24 mars 2021 qu'elle souhaitait que les publicités soient enlevées au plus vite «étant donné que [elles] ne travaill[aient] finalement pas ensemble et qu'aucune délégation de mandat n'[était] signée'», de sorte que la commercialisation par la société Kika Immobilier, sous les références 4 à 10 des villas de ce groupe, dans l'année suivant la rupture litigieuse, ne peut caractériser une violation de la clause de non-détournement de clientèle.

La société Heritage Properties & Investment ne démontre pas davantage la réalité d'un détournement de clientèle dans le cadre d'un acte de concurrence déloyale, à défaut d'établir l'existence de manœuvres déloyales de Mme [C] pour obtenir en ses lieu et place un mandat, s'agissant d'un prospect ayant clairement indiqué son souhait de ne pas travailler avec la société Heritage Properties & Investment.

La société Heritage Properties & Investment verse aux débats vingt-six mandats de vente (n°52 à n°77) de terrains à bâtir situés à [Localité 6], lotissement Côté canal, la liant à la SARL les Terrasses du canal (groupe AJ Promotion), avec des honoraires différents pour chaque immeuble (entre 3'950 et 4 475 euros) et , signés par Mme [C] le 19 novembre 2020. Elle justifie également qu'elle avait signé, par le biais de Mme [C], un mandat de vente simple (n°51) avec M. P [T] afin de vendre son fonds de commerce avec logement de fonction, situé à [Localité 2], pour un prix de 125'000 euros net (honoraires 20'000 euros) les 5 et 6 novembre 2020.

Mme [C] ne conteste pas qu'elle a vendu, par le biais de la société Kika Immobilier, dans l'année de la rupture du mandat d'agent commercial, ainsi que le montrent les extraits de pages provenant du site de cette société, vingt-deux terrains à bâtir, situés à [Localité 6], appartenant à la société les Terrasses du canal, ainsi que le fonds de commerce de M. [T]. Elle a, ainsi, conclu des mandats de vente avec M [T] et la société les Terrasses du canal alors que la société Heritage Properties & Investment était préalablement titulaire de tels mandats, signés par son intermédiaire, violant, par ce biais, la clause de non-détournement de clientèle.

Elle est redevable du montant des honoraires prévus dans les mandats détournés, qui sera calculé, pour les terrains, sur la base d'une moyenne de ceux-ci (les annonces publiées ne permettant pas de connaître précisément les mandats détournés), soit la somme globale de 112 210 euros (92 210 euros+20 000 euros), dont elle ne conteste pas le calcul.

Mme [C] sera donc condamnée à verser la somme de 112 210 euros pour violation de la clause de non-détournement de clientèle à son ancien mandant.