Comment réussir la rédaction d'un commentaire d'arrêt ? Quelle méthode adopter ?

Le commentaire d'arrêt est un exercice juridique dans lequel un juriste commente une décision de justice (un arrêt ou un jugement). En droit privé, généralement on commente les arrêts de la Cour de cassation, rarement les arrêts d’appel et jamais un jugement.
Afin de réussir le commentaire d'arrêt, vous devez respecter la méthodologie ci-dessous comportant plusieurs étapes de travail. Vous trouvez à la fin de l'article un exemple de rédaction complète du commentaire d'un arrêt.
1. Observations préalables de l'arrêt commenté
- Identifier la décision : qui l'a rendue ? Si c'est la Cour de cassation, quelle chambre ? Quel type d'arrêt (de rejet ou de cassation) ? Date ?
- L'arrêt de la Cour de cassation est-il publié ou non au Bulletin ?
- Sur quoi porte la décision à commenter ?
2. Recherche du sens de l'arrêt commenté
Cette étape consiste simplement à faire la fiche d'arrêt sur brouillon.
3. Approfondissement de la fiche d'arrêt
- Retravailler sur le ou les problèmes de droit en faisant un inventaire des idées qui, de près ou de loin, se rapporte à la question posée à la Cour de cassation.
- Si c'est un devoir fait à la maison, il convient de consacrer un temps à la lecture des notes de cours, puis à la recherche des notes de jurisprudence publiées dans les revues. Si un arrêt est trop récent, il est possible qu'il ne soit pas encore commenté par les auteurs.
4. Réflexion sur la valeur de l'arrêt commenté
- Sur le choix de la règle : Le juge a-t-il appliqué la bonne règle ? La qualification juridique retenue par le juge est-elle la bonne ? Par exemple, pourquoi le juge a-t-il appliqué le Code du travail, alors que le contentieux concerne un travailleur indépendant ?
- Sur l'interprétation de la règle applicable : Le juge a-t-il bien interprété la règle applicable ? S'agit-il d’une interprétation libérale, extensive, restrictive, originale, nouvelle ? Pour cela, il convient de décortiquer la règle applicable dans l'affaire à commenter.
- Sur l'appréciation de l'arrêt dans des contextes extrajuridiques : le juge n'aurait-il pas dû rendre une décision socialement acceptable plutôt que d'appliquer la loi qui ne correspond plus à l'évolution de la société ? Le droit positif n'est-il pas devenu obsolète ou insuffisant ?
5. Réflexion sur la portée de l'arrêt commenté
- Mesurer les conséquences de la décision à commenter sur l'évolution du droit positif : tous les arrêts de la Cour de cassation n'ont pas la même portée doctrinale. La distinction ci-dessous peut vous aider à mieux déterminer l'importance de l'arrêt commenté.
- Distinction entre arrêt d'espèce et arrêt de principe :
- Généralement, nous distinguons l'arrêt d'espèce et l'arrêt de principe. La portée de l'arrêt d'espèce est moins importante que celle de l'arrêt de principe. L'arrêt d'espèce ne cherche qu'à proposer une solution à un litige en particulier. Or, l'arrêt de principe cherche également à créer de véritable œuvre ou doctrine jurisprudentielle, qui s'impose aux affaires ultérieures.
- Les idées reçues : les arrêts de rejet sont les arrêts d'espèce. Les arrêts de cassation sont les arrêts de principe. Ce n'est qu'une idée reçue ! Car, certains arrêts de rejet peuvent être très intéressants et ayant une portée doctrinale.
- L'arrêt de rejet peut être important si l'on relève les expressions telles que "la Cour d'appel a pu légitimement estimer que", "la Cour d'appel a, à bon droit, décidé que". L'arrêt de rejet peut être également important s'il est doté d'un chapeau intérieur (un attendu de principe se trouvant généralement vers la fin de l'arrêt, juste avant la solution de la Cour de cassation).
- En revanche, l'arrêt de rejet dans lequel la Cour de cassation ne fait que se retrancher derrière l'appréciation souveraine du juge du fond n'est sûrement pas important. Ce type d'arrêt est reconnu grâce à des expressions telles que "la Cour d'appel a pu dire/décider que", "la Cour d'appel a estimé/jugé que".
- Les arrêts de cassation ne sont pas tous importants. Par exemple, la cassation disciplinaire ou pour défaut de motif ne présente pas d'intérêt. En revanche, un arrêt de cassation doté d'un attendu de principe (un chapeau) est généralement un arrêt de principe.
- Les indications matérielles : certaines indications matérielles permettent de comprendre l'importance d'un arrêt de la Cour de cassation : arrêt inédit (arrêt d'espèce), arrêt publié au Bulletin (arrêt de principe).
- La relativité des mesures de la portée de l'arrêt commenté : les mesures de la portée d'un arrêt ne relèvent pas des sciences exactes. Certains prérequis semblent nécessaires. Le commentateur doit disposer d'une solide connaissance de la matière à commenter afin de pouvoir poser un diagnostic.
6. La recherche d'un plan du commentaire d'arrêt
Le plan du commentaire d'arrêt est obligatoire. Cependant, il n'existe pas de plan-type.
Il est d'usage d'utiliser un plan binaire.
Un bon plan découle naturellement de l'arrêt commenté lui-même.
Illustration : Cour de cassation, première chambre civile, 14 juin 2007, n° 06-13. 601
I/ La protection de l’image des personnes
A - Le fondement du droit à l’image
B - La nécessité du consentement spécial du titulaire de l’image
II/ La protection renforcée de l’image des mineurs
A/ L’impossible dispense du consentement spécial
B - La solution d’espèce en rupture avec le droit antérieur ?
Pour réussir votre commentaire d'arrêt, vous devez faire attention aux choix des intitulés du plan.
- Les titres doivent être apparents et sont nominalisés. Les titres ne sont pas des phrases. Un bon titre doit permettre au lecteur de comprendre là où vous voulez aller. Par exemple : Le principe de présomption de paternité.
- Attention au sens des mots choisis : nature, rôle, caractère, régime, notion, champ d'application,....
7. La présentation d'une copie
- Introduction : Phrase d'accroche, présenter l'arrêt commenté (identification de l'arrêt, résumé des faits, procédures, problème de droit, solution)
- Annonce du plan : rédigez une phrase explicative et logique vous permettant d'annoncer les deux grandes idées de votre plan.
Exemple : Si la personnalité juridique n'est acquise que si l'enfant est né vivant et viable (I), la Cour de cassation admet que l’enfant simplement conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt (II).
- Le développement du commentaire d'arrêt
I - .............
Annonce...(A)...(B).
A - ............
Phrase de transition
B - ................
Phrase de transition à la fin de A
II - ................
Annonce...(A)...(B).
A - .......................
Phrase de transition à la fin de A
B - .......................
8. Conseils de rédaction du commentaire d'arrêt
- Rédigez des phrases courtes et grammaticalement correcte. Mais pour préserver l'élégance du style, il est conseillé d'alterner les phrases courtes et les phrases longues.
- Utilisez les indicateurs tels que : ainsi, en effet, en revanche, il en résulte que, cependant, de même, par ailleurs, ...
- Evitez de vous contenter de paraphraser le sens de la décision à commenter. L'objectif de l'exercice est de commenter. Ainsi, il faut expliquer le sens de l'arrêt, puis commenter. Il faut faire part de votre étonnement et de votre curiosité intellectuelle. Montrez que vous vous posez des questions.
- L'arrêt est le cœur du commentaire. Il faut utiliser la méthode du "va-et-vient" : partez de l'arrêt et allez vers l'arrêt commenté. Cette navette rédactionnelle permet d'éviter un écueil consistant à rédiger le commentaire d'arrêt de façon trop théorique. Vous citez un extrait de l’arrêt. Vous l’expliquez, vous l’appréciez, vous le critiquez. Cependant, les critiques doivent être respectueuses et argumentées.
- Citez des références doctrinales dans le commentaire d'arrêt.
9. Commenter un arrêt = Exprimer vos opinions personnelles
L’écueil ou l’erreur à éviter est qu’il ne faut pas se contenter d’expliquer de manière très générale l'arrêt à commenter. Ce que l’on vous demande dans un commentaire d’arrêt est votre appréciation de l’arrêt. Cela suppose alors d’exprimer vos opinions personnelles.
Ceci dit, il n’est pas interdit d’expliquer des règles générales. Mais cette explication doit avoir un lien avec l’arrêt. Elle doit être utile pour expliquer le sens de l’arrêt ou la valeur de l’arrêt ou la portée.
Il faut donc éviter de rédiger des phrases très générales comme dans une dissertation juridique.
Astuce : il faut utiliser certaines expressions permettant au correcteur de voir que vous donnez vos appréciations. Par exemples, nous pensons que ; il semble que.
10. Des exemples de critiques dans un commentaire d'arrêt
Illustration des critiques n°1 : Cour de cassation, première chambre civile, 31 octobre 2012, n° 11-17.476
En l'espèce, un homme a été victime d’un accident de la circulation. Il a été dans un premier temps indemnisé de ses préjudices. Puis, un rapport d’expertise judiciaire conclut à la nécessité d’une assistance permanente en raison de sa perte d’autonomie.
Suite à ce rapport d'expertise, la victime a assigné en référé-provision le responsable de l’accident et l’assureur de ce dernier. Un appel a été interjeté. La Cour d'appel a rejeté la demande de la victime en se basant sur les constatations opérées par un huissier de justice à la requête des défendeurs (assureurs). Ces constatations montraient les images de la victime en train de conduire seul un véhicule, effectuant des achats, assistant à des jeux de boules (...). Ce qui est contraire au rapport de l’expertise judiciaire.
Après avoir été déboutée par la Cour d'appel, la victime a formé un pourvoi en cassation en invoquant notamment que la filature organisée par l’assureur et la surveillance de la victime pendant ses déplacements sur la voie publique constituent un moyen de preuve illicite, car cela porte atteinte à sa vie privée et est disproportionné à l’objectif recherché (préserver les intérêts patrimoniaux de l’assureur).
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi et déclaré que l’arrêt de la cour d'appel est légalement justifié. La Cour de cassation était prudente, car elle souligne plusieurs conditions (en l'espèce remplies).
- Le procédé et les méthodes avaient été utilisés « sur la voie publique ou en des lieux ouverts au public », « sans provocation aucune à s'y rendre et relatives aux seules mobilité et autonomie de l'intéressé »,
- Le procédé et les méthodes utilisés n'étaient pas « disproportionnées au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits de l'assureur et des intérêts de la collectivité des assurés ».
Alors, quelles sont les critiques que vous pouvez formuler à l'égard de l'argument du demandeur au pourvoi et à l'égard de la Cour de cassation ?
- Critiques à l'égard de l'argument du demandeur au pourvoi (la victime)
- Le droit à la vie privée est bien entendu un droit fondamental protégé notamment par la Convention EDH (article 8) et le Code civil français (article 9). Mais dans cette affaire, ce droit cohabite avec le droit à la preuve (ou à la défense). La preuve porte ici sur le comportement et l’aptitude d’un individu qui est déclaré en perte d’autonomie. Il serait difficile, voire impossible pour les défendeurs d’apporter une preuve contraire, sauf s’ils procèdent à des filatures sur la victime. Même si la filature peut être intrusive dans la vie privée de la victime, cette méthode utilisée était nécessaire afin d'établir la vérité.
- Par ailleurs, il n’est pas admissible qu’un individu puisse invoquer sa vie privée pour cacher un secret malsain au détriment de l'intérêt collectif des assurés. Contrairement à l’argument de la victime, ici l’enjeu du débat porte non seulement sur l’intérêt de l’assureur, mais aussi celui de la communauté d’assurés. Dans le domaine des assurances, plus il y a de risques à indemniser, plus la prime d’assurance augmente. Ainsi, afin de limiter l'augmentation des primes, l’assureur doit éviter d’indemniser un préjudice qui ne devrait pas être indemnisé. Ainsi, même si l’on peut reconnaître qu’il y a une atteinte à la vie privée, cette atteinte n’est pas disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. Cette atteinte peut être également justifiée par le fait que les filatures se sont déroulées uniquement sur les lieux publics et elles ne portaient que sur le comportement de l’individu. De plus, les filatures étaient de courte durée (3 jours).
- On pourrait penser que l’assureur devrait demander des contre-expertises au lieu de procéder à la filature. Mais dans la mesure où la contre-expertise porte sur l’aptitude physique de la victime, comment peut-on imaginer que la victime serait sincère au moment de l’expertise ? En dehors des atteintes corporelles visibles, il est difficile d’avoir la vérité ! Ainsi, la filature est le moyen le plus efficace afin d’apporter une preuve.
- Critiques à l'égard de la solution de la Cour de cassation
- La Cour de cassation semble favoriser la préservation des intérêts patrimoniaux de l’assureur et de la communauté d’assurés au détriment d'un droit fondamental qui est le respect de la vie privée consacré par le Code civil et par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme. La position de la Cour de cassation n'est-elle pas trop libérale ? On assiste à un déclin de la protection de la vie privée.
Illustration des critiques n°2 : Cour de cassation, deuxième chambre civile, 2 avril 1997
En l'espèce, la société Canal+ a diffusé dans l'émission Les Guignols de l'info une caricature du PDG de la société PSA. Sa filiale, la société Automobiles Citroën estime que cette diffusion dévalorise les produits de sa marque et lui cause un préjudice.
La société Citroën a assigné la société Canal+ en réparation du préjudice. A la suite d'un jugement, un appel a été interjeté.
La cour d'appel a rejeté la demande de la société Citroën au motif que l'émission Les Guignols de l'info, qui revêt un caractère de pure fantaisie, est privée de toute signification réelle et de toute portée, qu'elle n'est inspirée par aucune intention de nuire (...). Cela veut dire que la Cour d’appel a soumis la mise en œuvre de la responsabilité à l’intention de nuire de l’auteur.
La société Citroën s’est alors pourvue en cassation.
L’article 1382 ancien du Code civil est le fondement de la responsabilité civile pour faute personnelle. La mise en œuvre de cette responsabilité est soumise aux trois conditions : une faute, un préjudice et le lien de causalité entre la faute et le préjudice. Dans cette affaire, le débat ne porte que sur la faute.
La Cour de cassation a censuré la cour d’appel qui n’a pas retenu la responsabilité de la société Canal+, alors qu’elle a constaté elle-même que cette société a commis une faute caractérisée par le caractère outrancier, provocateur et renouvelé des propos.
La Cour de cassation a rappelé que l'application de l'article 1382 du Code civil n'exige pas l'existence d'une intention de nuire. Donc, l’existence d’une faute suffisait à retenir la responsabilité de la société Canal +.
En soumettant la mise en œuvre de la responsabilité à l’intention de nuire de l’auteur, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil. C’est pourquoi son arrêt a été cassé.
Quel est le débat dans cette affaire ? Et quelles critiques peut-on adresser à la solution rendue par la Cour de cassation ?
- Le débat porte sur la conciliation entre la liberté d'expression des médias et la responsabilité civile pour faute prévue par l'article 1382 devenu 1240 du Code civil. La caricature ou l'émission satirique constitue-t-elle une faute ? Cette faute doit-elle être soumise à l’intention de nuire ?
- La critique que l'on peut adresser à la solution de la Cour de cassation ne concerne pas le fait de savoir si la société Canal+ a commis une faute en diffusant l'émission satirique en question. Elle porte sur le fondement permettant la réparation du préjudice résultant de l'abus de la liberté d'expression par voie de presse : rappelons que l'abus de la liberté de la presse est un délit pénal selon la loi du 29 juillet 1881. Traditionnellement, lorsque les faits reprochés sont constitutifs d'une infraction pénale réprimée par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, la Cour de cassation impose au juge civil le strict respect des règles relatives à la responsabilité pénale ce qui pratiquement conduit à évincer l'action en responsabilité civile fondée sur l'article 1382. Or, dans notre arrêt, la Cour de cassation semble admettre l'action en responsabilité civile de l'art. 1382 en cas d'abus de la liberté d'expression par voie de presse.
Illustration des critiques n°3 : Cour de cassation, première chambre civile, 14 juin 2007, n° 06-13. 601
En l'espèce, deux adolescents en situation de handicap âgés de 11 et 13 ans ont participé avec leur représentant légal à un plateau de télévision "Téléthon" visant à récolter des fonds pour la recherche médicale sur les maladies rares.
L'origine du contentieux venait du fait que les images (montrant les enfants assis dans un fauteuil roulant) de ces deux enfants ont été prises sans accord du représentant légal et ultérieurement diffusées dans un manuel scolaire.
Le représentant légal de ces enfants a intenté une action en réparation des dommages et intérêts invoquant la violation du droit à l'image et de la vie privée des enfants et a demandé la cessation de la diffusion de ces images.
A la suite d'un jugement, un appel a été interjeté.
Les demandes du représentant légal des deux mineurs ont été rejetées par la cour d'appel. Cependant, la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel.
Le débat porte sur deux points.
- Sur le but étranger de la diffusion des images : pour rejeter les demandes du représentant légal, la Cour d'appel a affirmé que la reproduction de ces images n'est pas sortie du contexte originel. Rappelons que le contexte originel était la participation à Téléthon afin de sensibiliser le public aux maladies rares. Les images ont été réutilisées dans un manuel scolaire afin d’illustrer un chapitre portant sur les maladies héréditaires. Or, la Cour de cassation considère que les images ont été reproduites dans une perspective différente du contexte originel. Ainsi, il fallait obtenir le consentement spécial des intéressés. La Cour de cassation rappelle ici l’importance du consentement du titulaire de l’image, mais aussi le caractère limité de l’autorisation. Cependant, il est regrettable que la Cour de cassation n’ait pas précisé en quoi la publication des images dans le manuel scolaire avait une perspective différente de l’émission Téléthon. Par ailleurs, que veut dire l’expression “perspective différente” ?
- Sur l'intérêt général de la diffusion de l'information : la cour d'appel a affirmé que ces images ont été réutilisées dans le but de promouvoir l'information sur les maladies concernées qui relève d’une étude d’intérêt général. Or, la Cour de cassation a rappelé que si l'illustration d'une étude d'intérêt général permet de dispenser du consentement des intéressés, cela n'implique pas nécessairement que les personnes représentées soient identifiables.
Nous constatons que la solution de la Cour de cassation apporte une restriction quand il s'agit de mineurs et même, peut-être, plus précisément, de mineurs malades pour lesquels l'identification revêt une autre dimension.
11. Les erreurs à éviter dans un commentaire d'arrêt
Pour que votre commentaire d'arrêt soit parfait, il faut éviter les erreurs suivantes :
- Les fautes d’orthographe et de grammaire
- L’écriture illisible
- Ne pas maîtriser les vocabulaires judiciaires et de procédure : arrêt/jugement ; arrêt confirmatif/arrêt infirmatif ; arrêt de rejet/arrêt de cassation ; motif/moyen
- Proposer une phrase d’accroche trop générale
- Rédiger les titres tels que les fait : ; la procédure : ; le problème de droit : ; la solution :
- Mal citer les faits : il ne faut pas déduire les faits des moyens du pourvoi ou des motifs des juges
- Ne pas retenir la qualification juridique des protagonistes ou les parties en citant sans cesse M.X ou Mme Y
- Supposer sans indice sérieux
- Confondre ce qu’a dit la Cour d’appel et ce qu’a dit la Cour de cassation
- Confondre le motif de la Cour d’appel et le moyen du pourvoi
12. Un exemple de commentaire d'arrêt intégralement rédigé
Cour de cassation, première chambre civile, 14 juin 2007, n° 06-13. 601
Le droit à l’image est un droit qui fait partie intégrante du droit au respect de la vie privée protégé notamment par l’article 9 du Code civil. Le respect du droit à l’image se heurte souvent à la liberté d’expression. C’est dans ce contexte que la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 14 juin 2007 soumis au commentaire.
En l’espèce, deux mineurs âgés de 11 et 13 ans ont participé avec le consentement de leur représentant légal à un plateau de télévision "Téléthon" visant à récolter des fonds pour la recherche médicale sur les maladies rares. L'origine du contentieux venait du fait que les images (montrant les enfants assis dans un fauteuil roulant) des mineurs ont été prises sans accord du représentant légal et ultérieurement diffusées par les Éditions Belin, dans un manuel scolaire destiné à sensibiliser les élèves aux maladies rares portées par des enfants.
Le représentant légal, ainsi qu’un des enfants devenu majeur, ont intenté (appelés les consorts X), à l’encontre des Editions Belin, une action en réparation des dommages et intérêts invoquant la violation du droit à l'image et de la vie privée des enfants et ont demandé la cessation de la diffusion de ces images. Ces demandes vont être ensuite rejetées par la Cour d'appel de Nîmes. Celle-ci a affirmé, d’une part, que la reproduction de ces images n'est pas sortie du contexte originel et d’autre part, que ces images ont été utilisées dans le but de promouvoir l'information sur les maladies concernées (dans un projet d’intérêt général).
Les consorts X se sont pourvus en cassation.
La question qui se pose est de savoir si la publication des images sans le consentement de leur titulaire est licite.
A cette question, la Cour de cassation a répondu par la négative. Elle a ainsi cassé l'arrêt de la Cour d'appel au visa des articles 9 du Code civil et 8-1 de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour de cassation considère, d’une part, que les images ont été reproduites dans une perspective différente du contexte originel. Ainsi, il fallait obtenir le consentement spécial des intéressés. D’autre part, l'illustration d'une étude d'intérêt général, qui dispense du consentement des intéressés, n'implique pas nécessairement que les personnes représentées soient identifiables.
Le verdict de la plus haute juridiction est paradoxal : s’il confirme la protection limitée du droit à l’image (I), il laisse cependant penser à une protection renforcée de ce droit en exigeant un consentement spécial des intéressés (II).
I/ De la protection limitée du droit à l’image
Afin de mieux cerner la portée du présent arrêt (B), il convient de rappeler préalablement les jurisprudences antérieures (A).
A - Les limites du droit à l’image avant l’arrêt à commenter
Si l’article 9 du Code civil protège la vie privée, c’est la jurisprudence qui a consacré le droit à l’image : « toute personne dispose sur son image, partie intégrante de sa personnalité, d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à sa reproduction » (Cass. Civ. 1ère, 27 février 2007, n° 06-10393).
Mais le droit à l’image n’est pas absolu. Sous l'influence de l'article 10 de la Convention EDH relatif à la liberté d'expression, il est nécessaire de concilier le droit à l’image et la liberté d’expression, ainsi que le droit à l’information du public. Ainsi, il est possible de publier une image d’un individu sans son consentement dans le cadre d’un fait d’actualité, d’un débat ou d’un sujet d’intérêt général et de manière plus générale lorsque le public a un intérêt légitime à en être informé (Civ 2ème, 30 juin 2004, n°02-19.599). C'est ainsi que fut validée l'image d'un professionnel cycliste courant le tour de France pour illustrer un manuel scolaire (comme dans l'espèce commentée) relatif à la diététique (TGI Paris, 14 mai 2003, Légipresse, 2004. III. 157). De même on jugea licites les photographies de personnes anonymes, prises, sans consentement, dans le métro pour illustrer le livre d'un sociologue (TGI Paris, 2 juin 2004, Légipresse 2004. I. 99).
Les limites de l’intérêt général sont également rappelées dans l’arrêt commenté.
B - La confirmation paradoxale des limites du droit à l’image par l’arrêt à commenter
Qu’est-ce qui fait que la Cour de cassation dans l’arrêt commenté adopte une position sévère en cassant l’arrêt de la Cour d’appel ? Est-ce que la solution serait en rupture avec les jurisprudences antérieures ?
La Cour de cassation a utilisé la formule suivante : “l'illustration d'une étude d'intérêt général, qui dispense d'un tel consentement,”. Cela veut dire qu’elle confirme les limites du droit à l’image par une dispense d’un consentement en cas d’intérêt général.
Cependant, la solution est paradoxale, car malgré cette confirmation, la Cour n’a pas autorisé la rediffusion des images en question.
Ce faisant, la Cour de cassation a-t-elle voulu montrer une protection renforcée du droit à l’image ?
II/ Vers une protection renforcée du droit à l’image ?
L'arrêt juge la rediffusion de la photographie illicite alors même que la publication poursuivait un but d'intérêt général. Pourquoi vouloir un consentement des sujets à l'image et, lorsqu'il s'agit de mineurs, de leurs représentants légaux ?
Si la Cour de cassation exige un “consentement spécial” parce que la rediffusion des images se déroulait dans une « perspective différente » (A), elle suggère cependant une autre possibilité, à savoir le floutage du visage des intéressés (B).
A - L’exigence d’un consentement spécial des intéressés
Il est évident qu’une autorisation a été donnée par le représentant légal des mineurs pour la participation de ces derniers au tournage de l’émission Téléthon et la diffusion des images à la télévision.
Faut-il considérer que toute nouvelle diffusion suppose un nouveau consentement ? Est-ce que l'autorisation tacite peut, le cas échéant, concerner de nouvelles exploitations de l'image ?
La Cour de cassation considère que les images ont été reproduites dans une perspective différente du contexte originel. Ainsi, il fallait obtenir le consentement spécial des intéressés.
La Cour de cassation rappelle ici l’importance du consentement du titulaire de l’image, mais aussi le caractère limité de l’autorisation. Cependant, il est regrettable que la Cour de cassation n’ait pas précisé en quoi la publication des images dans le manuel scolaire avait une perspective différente de l’émission Téléthon. Par ailleurs, que veut dire l’expression “perspective différente” ?
Nous passons d’un support télévisé à un manuel scolaire. Mais nous constatons que la publication des images dans le manuel scolaire poursuit un but identique à celui pour lequel l'autorisation avait été donnée pour l'émission, à savoir l'information sur l'existence des maladies génétiques. Alors pourquoi une telle exigence ?
A la lecture de la solution de la Cour de cassation, une solution alternative est proposée.
B - La solution alternative proposée par la Cour de cassation : le floutage des visages
En pratique, il peut être difficile d'obtenir le consentement exprès des intéressés. La Cour de cassation propose ici une solution alternative : “l'illustration d'une étude d'intérêt général, qui dispense d'un tel consentement, n'implique pas, nécessairement que les personnes soient identifiables ». Il en résulte que soit le diffuseur obtient le consentement exprès des intéressés, soit il floute les images dans le cadre de la rediffusion.
Est-ce que la Cour de cassation impose une obligation ou est-ce qu’elle suggère une solution (floutage des images) ?
Néanmoins, une interrogation reste suspendue : est-ce que la solution de la Cour de cassation est limitée uniquement aux mineurs ?
*** FIN ***