GPA : La Cour de cassation refuse l'assimilation automatique à une adoption plénière des enfants d'un jugement étranger reconnaissant la filiation.

Cour de cassation, première chambre civile, 5 mars 2025, n°24-50.006 : un jugement étranger de filiation n'est pas un jugement d'adoption plénière de l'enfant né de la GPA.

 

La Cour de cassation, par un arrêt de sa Première chambre civile en date du 5 mars 2025 (n° 24-50.006), a statué sur la question de l'exequatur et des effets en France d'un jugement étranger établissant la filiation d'enfants nés d'une gestation pour autrui (GPA) réalisée à l'étranger. 

Les faits et la procédure

 

Messieurs [J] et [R] se sont mariés en France le 4 juillet 2016. Par une ordonnance du 15 août 2018, la cour supérieure de l'État du Vermont (États-Unis) les a déclarés parents légaux de deux enfants à naître d'une mère porteuse, Mme [V], précisant qu'ils détiendraient conjointement l'autorité parentale et que la mère porteuse ne serait pas considérée comme la mère. Les enfants, [S] et [Y] [J] [R], sont nés le 10 août 2018 au Vermont.

MM. [J] et [R] ont ensuite saisi le tribunal judiciaire de Paris afin d'obtenir l'exequatur de cette décision américaine et de voir juger qu'elle produirait les effets d'une adoption plénière des enfants en France.

La décision de la Cour de cassation

 

La Cour de cassation a rappelé l'article 509 du code de procédure civile, qui dispose que les jugements étrangers sont exécutoires en France de la manière et dans les cas prévus par la loi.

La Cour a souligné que les jugements étrangers relatifs à l'état des personnes produisent de plein droit leurs effets en France, sauf s'ils nécessitent une mesure d'exécution sur les biens ou de coercition sur les personnes. Ces jugements peuvent être mentionnés sur les registres de l'état civil français sans exequatur, sous réserve du contrôle de leur régularité internationale par le juge français en cas de contestation.

Cependant, la Cour de cassation a précisé que lorsqu'un jugement étranger, sans prononcer l'adoption, établit la filiation d'un enfant né d'une GPA et est revêtu de l'exequatur, cette filiation est reconnue en tant que telle en France et produit les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets.

En l'espèce, la Cour de cassation a relevé que l'ordonnance du Vermont établissait un lien de filiation entre les enfants et MM. [J] et [R] mais ne constituait pas un jugement d'adoption . En décidant que cette décision produirait en France les effets d'une adoption plénière, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile.

Par conséquent, la Cour de cassation a rejeté la demande de MM. [J] et [R] visant à ce que l'ordonnance du Vermont produise en France les effets d'une adoption plénière.

Cet arrêt de la Cour de cassation réaffirme un principe essentiel : l'exequatur d'une décision étrangère établissant une filiation issue d'une GPA ne transforme pas automatiquement cette filiation en une adoption plénière en France. La reconnaissance de la filiation établie à l'étranger se fait "en tant que telle", et ses effets sont régis par la loi française applicable à chaque aspect de cette filiation.

La Cour de cassation distingue clairement l'établissement de la filiation, qui peut être reconnu en France sur la base d'une décision étrangère ayant obtenu l'exequatur, et l'adoption plénière, qui est une institution juridique française soumise à ses propres conditions et effets. Une décision étrangère qui n'est pas un jugement d'adoption ne peut se voir attribuer les effets d'une adoption plénière par le juge français statuant sur l'exequatur.

Cour de cassation,14 novembre 2024, n° 23-50.016 : un jugement étranger de filiation n'est pas un jugement d'adoption plénière de l'enfant né de la GPA.

 

Le recours à une GPA par une femme seule

 

L'affaire concerne [E] [S], né le 8 décembre 2019 en Colombie britannique (Canada) d'une convention de GPA avec double don de gamètes. Par une ordonnance du 1er février 2021, la cour suprême de la Colombie-Britannique a déclaré Mme [S] seul parent de l'enfant, lui attribuant la garde exclusive et l'ensemble des droits et responsabilités parentales.

La demande d'exequatur d'une décision de la cour suprême de la Colombie-Britannique

 

Mme [S] a saisi le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir l'exequatur de cette décision canadienne, demander qu'elle produise les effets d'une adoption plénière, et ordonner sa transcription sur les registres français de l'état civil.

Le tribunal judiciaire de Paris, par un jugement du 9 mars 2022, a déclaré exécutoire l'ordonnance canadienne établissant la filiation de l'enfant à l'égard de Mme [S], a dit que la décision produirait en France les effets d'une adoption plénière et que l'enfant porterait le nom de famille de Mme [S].

Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris a interjeté appel. La cour d'appel de Paris, par un arrêt du 18 avril 2023, a confirmé le jugement de première instance. C'est cet arrêt qui fait l'objet du pourvoi en cassation formé par la procureure générale. 

Le rappel de la prohibition de la GPA en Droit français

 

L'article 16-7 du code civil pose un principe de nullité absolue pour toute convention de GPA, et le droit pénal sanctionne l'entremise en vue d'une telle gestation. Malgré cette prohibition, la Cour de Cassation a évolué dans sa jurisprudence concernant la reconnaissance des filiations établies à l'étranger dans un contexte de GPA, sous l'impulsion de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH).

Initialement, la Cour de Cassation s'opposait à la reconnaissance directe ou indirecte de la maternité pour autrui, invoquant l'ordre public et le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes. Cependant, suite aux condamnations de la France par la CEDH (arrêts Mennesson et Labassée du 26 juin 2014), la jurisprudence a évolué vers la transcription de l'acte de naissance étranger en ce qui concerne le père biologique.

Concernant la mère d'intention sans lien biologique, la Cour de Cassation a longtemps refusé la transcription de la maternité, considérant que la "réalité" au sens de l'article 47 du code civil est celle de l'accouchement. Néanmoins, elle a admis la possibilité d'établir la filiation à l'égard de la mère d'intention par la voie de l'adoption, afin de respecter l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de sa vie privée et familiale (article 8 de la CEDH).

La loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a modifié l'article 47 du code civil en précisant que la "réalité" des faits déclarés dans un acte d'état civil étranger est appréciée au regard de la loi française. Cette modification visait notamment à réaffirmer la prohibition de la GPA et à encadrer la reconnaissance des filiations établies à l'étranger dans ce contexte.

L'interdiction de la GPA et l'ordre public international français

Dans cette affaire, le ministère public soutient que reconnaître la filiation de Mme [S], qui n'a aucun lien biologique avec l'enfant né de GPA, sur la base de la décision canadienne, contrevient à l'ordre public international français, dont le fondement réside dans la prohibition de la GPA. Il estime que seule l'adoption permettrait d'établir un lien de filiation à l'égard de la mère d'intention, conformément à la jurisprudence de la CEDH qui exige que des voies soient ouvertes pour sécuriser les liens entre l'enfant né par GPA et le parent d'intention.

La reconnaissance des décisions judiciaires étrangères en matière de filiation et la procédure d'exequatur


Le ministère public pose la question de savoir si la demande d'exequatur d'un jugement étranger établissant la filiation d'un enfant, né à la suite d'une convention de gestation pour autrui, à l'égard d'une personne n'ayant aucun lien biologique avec l'enfant, se heurte à l'ordre public international français.

La Cour de cassation rappelle que d'une part, l'ordre public international français inclut les droits reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la France s'est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction.

Or, il résulte de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, avis consultatif du 10 avril 2019, n° 16-2018-001), qu'au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, la circonstance que la naissance d'un enfant à l'étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'enfant, faire obstacle à la reconnaissance en France des liens de filiation établis à l'étranger tant à l'égard du parent biologique qu'à l'égard du parent d'intention (Ass. plén., 4 octobre 2019, pourvoi n°10-19.053, publié).

D'autre part, aucun principe essentiel du droit français n'interdit la reconnaissance en France d'une filiation établie à l'étranger qui ne correspondrait pas à la réalité biologique.

En effet, le droit français prévoit, au titre VII du Livre I du code civil, plusieurs modes d'établissement de la filiation qui, s'ils reposent sur la vraisemblance biologique, permettent que soient établies des filiations qui ne sont pas conformes à la réalité biologique, la preuve de celle-ci n'intervenant, en cas de conflit, que dans les conditions et dans les délais prévus par la loi.

Par ailleurs, rendue possible par les évolutions scientifiques, l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur aux couples de sexe différent a conduit à admettre des liens de filiation sans rapport avec la réalité biologique.

Enfin, avec l'élargissement de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et l'établissement de la filiation de la femme qui n'a pas accouché par le biais d'une reconnaissance conjointe anticipée, la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a consacré l'existence en droit français d'une filiation reposant sur l'engagement personnel de deux femmes qui ont construit un projet parental commun, en dehors de toute vraisemblance biologique.

Dès lors, l'ordre public international français ne saurait faire obstacle à l'exequatur d'une décision établissant la filiation d'un enfant né à l'étranger à l'issue d'un processus de gestation pour autrui à l'égard d'un parent qui n'aurait pas de lien biologique avec l'enfant, étant rappelé que compte tenu, d'une part, des risques de vulnérabilité des parties à la convention de gestation pour autrui et des dangers inhérents à ces pratiques, et, d'autre part, des droits fondamentaux en jeu, le juge doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d'équivalent qui lui sont fournis, d'identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d'autrui et de s'assurer qu'il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux (1re Civ., 2 octobre 2024, pourvoi n°22-20.883, publié).

Après avoir retenu que le litige se rattachait de manière caractérisée à l'Etat canadien dont la juridiction avait été saisie, la cour d'appel, examinant la conformité de la décision à l'ordre public international, a relevé que, pour dire que Mme [S] était le seul parent de [E] et qu'elle détiendrait la garde exclusive de l'enfant ainsi que l'ensemble des droits et responsabilités parentaux, la Cour suprême de la province de Colombie-Britannique (Canada) avait retenu, d'abord, que la mère porteuse, Mme [U], n'était pas le parent biologique et légal de l'enfant, ensuite, qu'elle avait librement et volontairement donné son consentement et accepté que Mme [S] soit le seul parent légal de l'enfant en renonçant à tous ses droits parentaux à son profit, et lui avait transféré ces droits aux termes d'un consentement signé après la naissance de l'enfant, et, enfin, que dans l'intérêt supérieur de l'enfant, la donneuse d'ovocyte anonyme et le donneur de sperme anonyme n'étaient pas les parents légaux de [E].

Elle a estimé que la circonstance que la décision canadienne établisse la filiation d'un enfant ne présentant aucun lien biologique avec la mère porteuse et la mère d'intention ne suffisait pas à caractériser l'existence d'une fraude à l'adoption internationale dont il n'était pas précisé quelles règles auraient été contournées.

Elle en a exactement déduit que les conditions de l'exequatur étaient réunies.

La non-assimilation des effets d'un jugement étranger établissant une filiation sur GPA à ceux d'une adoption plénière de l'enfant

La Cour de cassation rappelle que lorsque, sans prononcer d'adoption, un jugement étranger établissant la filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui, est revêtu de l'exequatur, cette filiation est reconnue en tant que telle en France et produit les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets.

Sur ce fondement, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel qui après avoir confirmé l'ordonnance déférée en ce qu'elle avait déclaré exécutoire sur le territoire français la décision du 1er février 2021 instituant une filiation entre l'enfant [E] et Mme [S], décide que cette décision produira en France les effets d'une adoption plénière.

La Cour de cassation a jugement ensuite que cette filiation est reconnue en tant que telle en France et produit les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets.