La responsabilité d'un hébergeur d'un site internet promouvant la gestation pour autrui (GPA)

Cour de cassation, Première chambre civile, 23 novembre 2022, 21-10.220, Publié au bulletin
Par un arrêt rendu par sa première chambre civile le 23 novembre 2022, la Cour de cassation s'est prononcée sur la responsabilité d'un hébergeur de site internet, la société OVH, face à la diffusion sur son serveur d'un site d'entremise promouvant la gestation pour autrui (GPA), pratique interdite et pénalement sanctionnée en France. Cette décision, publiée au bulletin, apporte des éclaircissements importants sur les obligations des hébergeurs au regard de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), et notamment son article 6.I.2.
Le contexte de l'affaire
L'affaire trouve son origine dans la mise en demeure adressée le 1er février 2016 par l'association Juristes pour l'enfance à la société OVH, en sa qualité d'hébergeur, de retirer le contenu du site internet http://www.subrogalia.com/fr/. Ce site, édité par la société de droit espagnol Subrogalia, proposait ses services d'entremise pour la GPA. L'association Juristes pour l'enfance considérait ce contenu comme illicite au regard de l'interdiction de la GPA en France.
Après une réitération de cette notification le 13 juin 2016, OVH a répondu le 17 juin 2016 qu'en l'absence de contenu manifestement illicite, il ne lui appartenait pas de se substituer aux autorités judiciaires, mais qu'elle exécuterait toute décision de justice à ce sujet.
Face à ce refus, l'association a assigné OVH le 18 août 2016 devant le Tribunal de grande instance de Versailles afin d'obtenir une injonction de rendre le site inaccessible et une condamnation au paiement de dommages-intérêts. Le Tribunal de grande instance de Versailles, par un jugement du 26 février 2019, a fait droit à la demande de l'association.
La cour d'appel de Versailles, saisie par OVH, a confirmé ce jugement par un arrêt du 13 octobre 2020. OVH a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Selon la société OVH, la promotion de la gestation pour autrui n'est pas un contenu manifestement illicite.
La société OVH a soulevé deux moyens de cassation. Le premier moyen critiquait la décision de la cour d'appel sur la condamnation au paiement de dommages-intérêts. OVH arguait notamment que :
- La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient (Règlement Rome II), et que l'application de la loi française par la cour d'appel était basée sur un motif inopérant.
- La responsabilité d'un hébergeur ne peut être engagée que si l'information dénoncée présente un caractère manifestement illicite, ce qui n'était pas le cas selon OVH, compte tenu des différentes législations sur la GPA dans le monde et du fait que la société Subrogalia était basée en Espagne où la GPA est licite.
- La condamnation à des dommages-intérêts nécessitait la preuve d'un lien de causalité direct et certain avec un préjudice personnel de l'association, ce qui n'était pas démontré par la cour d'appel.
L'interdiction de la gestation pour autrui par le code civil français rendant le contenu promouvant la GPA manifestement illicite.
Selon l'article 16-7 du code civil, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle.
L'article 16-9 du même code vient préciser le caractère d'ordre public e de cette prohibition.
La Cour de cassation a estimé que la cour d'appel avait exactement déduit que le site internet de la société espagnole était manifestement illicite. Elle a relevé que les informations étaient accessibles en français, que Subrogalia affirmait travailler avec des clients de quatre pays dont la France, et que le public français était la cible du site. La Cour de cassation a ainsi validé le raisonnement de la cour d'appel selon lequel le site contrevenait explicitement aux dispositions du droit français prohibant la GPA et avait vocation à permettre à des ressortissants français d'accéder à une pratique illicite en France.
La Cour a également considéré que la cour d'appel avait justement retenu l'existence d'un dommage subi par l'association sur le territoire français au regard de la loi française. En ne réagissant pas promptement pour rendre inaccessible le site en France, OVH avait manqué aux obligations prévues à l'article 6.I.2 de la LCEN. Enfin, la Cour a estimé que la cour d'appel avait souverainement apprécié, par une décision motivée, le préjudice résultant de ce manquement.
L'apport de la décision de la Cour de cassation
Cet arrêt de la Cour de cassation confirme l'interprétation stricte de la notion de manifestement illicite pour les contenus en ligne, notamment lorsqu'ils contreviennent à des dispositions fondamentales de l'ordre public français, comme l'interdiction de la GPA. Il souligne que la circonstance qu'une activité soit licite dans le pays d'origine de l'éditeur d'un site internet n'exonère pas l'hébergeur de sa responsabilité en France si le contenu cible le public français et promeut une pratique illégale sur le territoire national.
La décision rappelle également l'obligation pour les hébergeurs de réagir promptement face à des contenus manifestement illicites qui leur sont notifiés, sous peine d'engager leur responsabilité et d'être condamnés à des dommages-intérêts.