🔴 L'atteinte à la vie privée et au droit à l'image : retrait impossible de la publication litigieuse de Google en cas de forte volatilité des informations

Décision du Tribunal Judiciaire de Nanterre - RG n°24-01.987, le 16 janvier 2025
Il s'agit d'une décision de référé, rendue le 16 janvier 2025 par le Tribunal judiciaire de Nanterre, portant sur une assignation de Madame [V] [X] (actrice) contre la S.A.S. Société du Figaro. Madame [X] reproche à la société du Figaro d'avoir porté atteinte à ses droits de la personnalité suite à la publication d'un article sur le site internet du Figaro. L'article en question, publié le 3 juillet 2024, est intitulé “[K] [X] et [T] [O] : leur sortie parisienne qui fait déjà parler”.
Plus précisément, Madame [X] demande réparation pour :
- Violation de sa vie privée.
- Violation de son droit Ă l'image.
Elle demande également le retrait de l'article et son déréférencement auprès de Google.
La société du Figaro conteste les demandes de Madame [X].
L'atteinte à la vie privée et au droit à l'image résultant d'une publication par la presse "people"
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Le rappel des règles relatives à la protection de la vie privée et au droit à l'image et leur conciliation avec la liberté d'expression
Les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune ou ses fonctions, le droit au respect de sa vie privée et le droit à la protection de son image.
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L’article 10 de la même convention protège concurremment la liberté d’expression et l’exercice du droit à l’information.
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Les droits ainsi énoncés ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre eux et de privilégier, le cas échéant, la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
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Pour procéder à leur mise en balance, il y a lieu, suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication ainsi, le cas échéant, que les circonstances de la prise des photographies.
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Dans son arrêt Hachette Filipacchi Associés (Ici Paris) c. France du 23 juillet 2009 (12268/03), cette Cour précise notamment que « si l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine, en particulier, du discours politique (Brasiller c. France, n° 71343/01, §§ 39-41, 11 avril 2006) et, de façon plus large, dans des domaines portant sur des questions d’intérêt public ou général, il en est différemment des publications de la presse dite "à sensation" ou "de la presse du cœur", laquelle a habituellement pour objet de satisfaire la curiosité d’un certain public sur les détails de la vie strictement privée d’une personne (voir en particulier Von Hannover, précité, § 65, et Société Prisma Presse c. France (déc.), nos 66910/01 et 71612/01, 1er juillet 2003). Quelle que soit la notoriété de la personne visée, lesdites publications ne peuvent généralement passer pour contribuer à un débat d’intérêt public pour la société dans son ensemble, avec pour conséquence que la liberté d’expression appelle dans ces conditions une interprétation moins large ».
L'appréciation in concreto du tribunal sur l'atteinte à la vie privée et au droit à l'image
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Les informations diffusées sont-elles qualifiées de la vie privée ?
Les informations ici diffusées entrent dans le champ de la protection de la vie privée instituée par les textes précités pour évoquer un moment de détente et de loisirs partagé par la comédienne avec [T] [O], l’article faisant état de détails relatifs au lieu de leur rencontre, à l’heure à laquelle ils l’ont quitté, ainsi qu’au fait qu’ils sont repartis ensemble en Uber.
L'actrice a-t-elle consenti Ă la publication de l'article ? Â
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La publication litigieuse peut ĂŞtre justifiĂ©e par l'accord de la plaignante.Â
Or, il n’est pas démontré par la société défenderesse que l’intéressée s’est exprimée sur ce moment passé en compagnie de l’humoriste français, ni qu’elle l’a autorisée à le faire.
La publication litigieuse relève-t-elle d'un dĂ©bat d'intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral ou d'un fait d'actualitĂ© ?Â
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Le tribunal juge que qu’il n’est pas justifié que ces informations relèveraient d’un débat d'intérêt général ou d’un fait d’actualité, s’agissant d’un moment strictement privé qui ne se rattache en rien à une manifestation publique ou de nature professionelle, la notoriété des intéressés étant indifférente à cet égard.
En outre, et contrairement à ce que soutient la société du Figaro, il ne saurait être considéré que le récit de la rencontre dans un restaurant parisien entre [V] [X] et [T] [O] présenterait un caractère anodin, l’article livrant des informations tangibles et précises sur un moment de loisirs qui, s’il peut apparaître banal aux yeux du lecteur, ne saurait être ressenti comme tel par celui qui le vit.
Il est établi que la société éditrice a porté atteinte au respect dû à la vie privée de [V] [X].
En outre, l’illustration de l’article litigieux par plusieurs clichés volés, la représentant dans le cadre d’un moment de détente et de loisirs, sans qu’il soit démontré par la société éditrice qu’elle a consenti à cette diffusion, prolonge cette atteinte tout en violant le droit qu’elle a sur son image, sans que cela soit rendu nécessaire là encore par un débat d’intérêt général ou un rapport avec l’actualité.
Les sanctions
Par conséquent, le tribunal a accordé une indemnité provisionnelle de 1 500 euros pour l'atteinte à la vie privée et de 1 500 euros pour l'atteinte au droit à l'image.
Le refus de la demande de retrait et de déréférencement de Google d'une publication portant atteinte à la vie privée et au droit à l'image
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Le tribunal a rejetĂ© la demande de retrait et de dĂ©rĂ©fĂ©rencement de l'article litigieux, la jugeant disproportionnĂ©e.Â
Le tribunal a rappelé que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que constituent les réparations civiles que dans les cas où celles-ci, prévues par la loi et poursuivant un but légitime dans une société démocratique, constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l’exercice de cette liberté.
Au regard de la très forte volatilité des informations contenues par la publication litigieuse, et du fait qu’elles ont été reprises par de nombreux autres médias, la demande de retrait et de déréférencement présentée par [V] [X] sera considérée comme disproportionnée et dès lors rejetée, son préjudice se trouvant en outre intégralement réparé par l’allocation de dommages et intérêts.