La révocation d'une adoption simple en cas de motif grave

Par jugement du 6 mai 2019, le tribunal de grande instance d'Alençon a prononcé l'adoption simple d’une personne par une autre. Le nom de famille de l’adoptant a été transmis à l’adopté.
Par acte du 16 mars 2021, l'adopté a fait assigner l'adoptant devant le tribunal judiciaire d'Alençon aux fins de révocation de l'adoption avec toutes conséquences de droit.
Par jugement du 21 octobre 2022, le tribunal a débouté l’adopté de l'ensemble de ses demandes.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 4 décembre 2022, l’adopté a interjeté appel de cette décision.
La demande de révocation de l'adoption simple
Il convient de rappeler que l’article 370 devenu l’article 368 du code civil applicable à l’adoption simple dispose que « s'il est justifié de motifs graves, l'adoption peut être révoquée, à la demande de l'adoptant ou de l'adopté, ou, lorsque ce dernier est mineur, à celle du ministère public ».
Il s’agit dans cette affaire de déterminer s’il existe un motif grave permettant de révoquer l’adoption simple.
Mais d’abord, la cour d’appel s'interroge sur le sens que les deux parties concernées ont entendu donner à cette adoption, certes prononcée entre deux adultes consentants et validée par une décision de justice, en l'occurrence le jugement du 6 mai 2019.
En effet, il convient de rappeler que l'adoption tend à l'établissement d'un lien de filiation, même si celui-ci, s'agissant d'une adoption simple, s'ajoute à la filiation d'origine sans la remplacer.
Les effets de l’adoption simple
L'adoption a pour effet de créer un véritable rapport filial entre l'adoptant et l'adopté, avec toutes les conséquences qui en découlent, notamment :
- le respect dû par l'adopté à l'adoptant (article 371 du code civil),
- la prohibition du mariage entre l'adoptant et l'adopté (article 361),
- l'autorité parentale, du moins quand l'adopté est mineur, - l'obligation alimentaire réciproque (article 364),
- enfin, la vocation successorale, dans les limites des articles 365 et 366 du code civil.
A contrario, l'adoption n'a pas vocation à créer des liens juridiques entre deux concubins, ni entre deux personnes qui entretiennent des relations, même consenties, par nature incompatible avec un rapport de filiation, puisqu'elles tendent alors à devenir incestueuses. Tel est pourtant le cas, ou du moins tel a été le cas, entre les deux parties qui évoquent en effet, dans plusieurs messages qu'ils se sont adressés mutuellement au cours des dernières années, des scènes de masturbation commune.
L'un comme l'autre le reconnaissent d'ailleurs, qui confirment l'ancienneté de ces relations, préexistantes même au jugement d'adoption. De telles relations sont manifestement contraires à l'institution que constitue l'adoption, peu important qu'elles ne tombent pas sous le coup de la loi pénale.
Pour autant, aucune conséquence ne peut en être tirée, puisque l’adopté n'agit pas en annulation de l'adoption, mais en révocation de celle-ci.
La recherche du motif grave permettant de révoquer l’adoption simple
En l'espèce, il résulte des différents éléments du dossier :
- que les relations entre l'adoptant et l'adopté se sont dégradées depuis que le second a rencontré une compagne, Mme [P] [R], avec laquelle l’adoptant s'est naturellement trouvé en concurrence dans ses relations avec l’adopté, dans la mesure où celle-ci refusait de se prêter à ce qu'elle décrit comme un 'couple à trois';
- que l’adoptant, qui ne parvenait plus à fréquenter l’adopté autant qu'il l'aurait souhaité, n'a alors eu de cesse de lui adresser des messages (courriels, lettres, réseaux sociaux), ainsi qu'à Mme [R], dans lesquels il multiplie les reproches, les récriminations, le chantage affectif voire les insultes contre celui et celle qu'il accuse de l'avoir abandonné ;
- qu'au vu de la teneur de ces messages comme de leur nombre, ils relèvent d'un véritable harcèlement moral de la part de l'adoptant;
- que l’adoptant s'est également cru autorisé à écrire à l'employeur de l’adopté, par un courriel du 17 avril 2021, non seulement pour lui raconter sa propre version des difficultés qu'il rencontrait avec celui-ci, mais également pour l'informer d'une prétendue 'magouille' ourdie par le salarié qui, selon le délateur, procédait à des facturations frauduleuses, au préjudice de son employeur, pour faire profiter ses amis de tarifs préférentiels indus et se partager avec eux la différence de prix ; si l’adoptant peut à la rigueur se prévaloir, pour la première partie de son message, de ce qu'il appelle un 'droit de réponse' face à la version des faits tels que l’adopté les avait rapportés à ses collègues, en revanche la seconde partie de son message relève d'une véritable intention de nuire, l’adoptant se permettant en effet de qualifier son fils adoptif, auprès de l'employeur de celui-ci, de 'quelqu'un qui n'a plus rien de respectable', de 'menteur pathologique' ou encore de 'manipulateur de haut vol', invitant même l'employeur à s'en 'méfier'. Assurément, un tel comportement, qui relève pour le moins d'une grande animosité de la part de l'adoptant vis-à-vis de l'adopté, n'est pas compatible avec la relation normalement attendue d'un père envers son fils.
En conséquence et contrairement à l'appréciation des premiers juges, la cour d’appel considère qu'il s'agit là de motifs graves qui, survenus depuis le prononcé de l'adoption, justifient sa révocation afin de mettre un terme à une filiation devenue nocive pour l'adoptant comme pour l'adopté, et par ailleurs construite sur un artifice, qui a finalement montré toutes ses limites, issu d'un détournement de la loi.
L’effet de la révocation de l’adoption simple sur le nom de famille de l’adopté
La cour d’appel juge qu’aucune circonstance ne justifiant en l'espèce que l'adopté, désormais délié de sa filiation adoptive, soit tenu de conserver le nom de l'adoptant, alors en effet qu'en application de l'article 369-1 du code civil, la révocation fait cesser pour l'avenir tous les effets de l'adoption, à l'exception seulement de l'éventuelle modification des prénoms.
Source : Cour d'appel de Caen, 18 janvier 2024, 22/03044