Le changement de nom de famille : le motif d'ordre affectif ne caractérise l'intérêt légitime que dans des circonstances exceptionnelles.

L'essentiel :
Selon l'article 61 du Code civil, toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret.
Selon le Conseil d’Etat, il est constant que les motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime au changement de nom de famille fondé sur l'article 61 du Code civil. Ces circonstances exceptionnelles sont appréciées au cas par cas.
🔎 Illustrations à travers certaines décisions :
Conseil d'État, 24 février 2023, n° 465061 ⬇️: circonstances exceptionnelles (oui)
Mme B D a adressé au Ministre de la Justice une demande de changement de son nom de famille pour adjoindre à celui-ci le nom de « de E ». A la suite d’un refus, elle a saisi le tribunal administratif de Paris qui a confirmé la décision de rejet du Ministre de la Justice. Mais la Cour d’appel de Paris a finalement fait droit à la demande de Mme B D.
Mme B D bénéficiait donc du changement de nom par décret du 15 avril 2022 l’autorisant à porter le nom de « D de E ».
L’opposition au décret portant le changement de nom de famille pris pour l’exécution d’une décision de justice
Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 du même code : " Tout intéressé peut faire opposition devant le Conseil d'Etat au décret portant changement de nom dans un délai de deux mois à compter de sa publication au Journal officiel ".
Le Conseil d’Etat précise que la circonstance que le décret autorisant un changement de nom ait été pris pour l'exécution d'une décision du juge administratif annulant pour excès de pouvoir le refus initialement opposé à la demande tendant à ce changement, quel que soit le motif de cette annulation, y compris si elle est devenue définitive, ne fait pas obstacle à la faculté, pour tout intéressé, de former contre ce décret le recours en opposition régi par les dispositions de l'article 61-1 du code civil et d'invoquer tous moyens à l'appui de ce recours.
C’est dans ce contexte qu’un tiers, M. A de Roffignac s’est opposé, devant le Conseil d’Etat, à ce changement de nom de famille.
L’irrégularité de la publication de la demande de changement de nom de famille dans un journal d’annonces légales
Le demandeur de changement de nom de famille doit observer certaines obligations de publicité légale de sa demande. M. de Roffignac qui s’est opposé au décret autorisant le changement de nom de famille de Mme D a alors invoqué une irrégularité de procédure préalable.
En effet, aux termes de l'article 3 du décret du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom, préalablement à la demande, le requérant fait procéder à la publication au Journal officiel de la République française d'une insertion comportant son identité, son adresse et, le cas échéant, celles de ses enfants mineurs concernés et le ou les noms sollicités. S'il demeure en France, une publication est, en outre, effectuée dans un journal désigné pour les annonces légales de l'arrondissement où il réside.
L'article 2 du même décret précise qu’à peine d'irrecevabilité, la demande de changement de nom expose les motifs sur lesquels elle se fonde, indique le nom sollicité (…) ; elle est accompagnée des pièces suivantes : 6° Un exemplaire des journaux contenant les inscriptions prescrites à l'article 3 (…).
Aux termes de l'article 5 du même décret, l'autorisation ou le refus de changement de nom ne peut intervenir que deux mois après la date à laquelle il a été procédé à la publicité prévue à l'article 3.
Selon le Conseil d’Etat, il résulte des articles 2, 3 et 5 du décret du 20 janvier 1994 que la formalité de publication au Journal officiel et dans un journal d'annonces légales de l'arrondissement de résidence du demandeur est destinée à permettre à d'éventuelles oppositions de se manifester, dans le délai prévu par l'article 5, et ce, afin que l'autorité compétente puisse se prononcer en connaissance de cause sur le changement de nom sollicité. Toutefois, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il résulte de l'instruction qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
Il résulte de l'instruction que Mme D, qui réside en France, a fait procéder à la publication d'insertions comportant les indications prévues par les dispositions de l'article 3 du décret du 20 janvier 1994, d'une part, au Journal officiel de la République française le 17 février 2016 et, sous la forme d'un rectificatif, le 4 mai 2016 et, d'autre part, à la Gazette du Palais du 28 avril 2016.
Cependant, la Gazette du Palais, diffusée à Paris, dans l'arrondissement de résidence de Mme D, n'était pas un journal désigné pour les annonces légales dans cet arrondissement pour l'année en cause. Cela semble caractériser alors une irrégularité.
Cette irrégularité n’entraîne pas systématiquement l’illégalité du décret portant le changement de nom de famille de Mme D. Il convient de rechercher si elle exerce une influence sur le sens du décret pris. En l’espèce, selon le Conseil d’Etat, une telle irrégularité, à la supposer établie, ne saurait toutefois avoir eu d'influence sur le sens de la décision, ni, dans les circonstances de l'espèce, avoir privé M. de Roffignac d'une garantie.
L’appréciation de l’intérêt légitime au changement de nom de famille caractérisé par un motif d’ordre affectif
Mme D a fondé sa demande de changement de nom de famille sur un motif d’ordre affectif.
Le motif d’ordre affectif constitue-t-il un intérêt légitime au sens de l’article 61 du code civil ?
Selon l'article 61 du code civil, toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret.
Selon le Conseil d’Etat, des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
Il convient alors de voir s’il existe des circonstances exceptionnelles concernant la demande de changement de nom de Mme D.
En l’espèce, M. C de Roffignac qui est le père de M. A de Roffignac avait engagé une action en usurpation de nom visant à faire interdire à M. D de E l’utilisation le nom « de E ». La cour d’appel de Poitiers a fait droit à cette demande par un arrêt du 3 juillet 1952.
Faisant tierce opposition à cet arrêt, le fils de M. D, a obtenu de la même cour d'appel par un arrêt du 30 mai 1973 de pouvoir conserver le nom de " de E ", le pourvoi de M. de Roffignac devant la Cour de cassation contre cet arrêt ayant été rejeté.
A la différence de son frère, Mme D n'a pas fait tierce opposition à l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers. Souhaitant toutefois se voir rétablie dans le nom originel de sa famille, recouvrer l'identité qui était la sienne jusqu'à l'âge de six ans et demi et que soit ainsi assurée l'unité du nom au sein de sa famille, elle a, sur le fondement des dispositions de l'article 61 du code civil, demandé à adjoindre à son nom le patronyme " de E ".
Selon l’appréciation du Conseil d’Etat, ce motif d'ordre affectif est, dans ces circonstances exceptionnelles, de nature à caractériser l'intérêt légitime requis pour changer de nom.
Conseil d'État, 8 février 2021, n° 430936 ⬇️: circonstances exceptionnelles (non)
Trois enfants nés en 1995, 1996 et 1999, ont porté à leur naissance le nom de leur père, "Le H ".
Celui-ci a fait l'objet d'une adoption simple par Monsieur C, adoption prononcée par un jugement du 29 octobre 2008. Le jugement d'adoption dit que l'adopté porterait désormais le nom de " A H-C ".
Ce jugement d'adoption ordonne la mention du changement du nom du père et de ses enfants mineurs en marge des actes de naissance.
La mère de ses trois enfants a sollicité le changement de leur nom en "A H-G ".
Le nom " G " est celui de la mère des enfants. Ceux-ci ont fait usage du nom sollicité depuis leur naissance et qu'ils n'ont entretenu aucun lien avec M. C (l'adoptant du père des enfants).
Cependant, le Conseil d'Etat juge qu'aucune circonstance exceptionnelle n'a été caractérisée. Aucun trouble sérieux résultant du port du nom " Le H-C " n'a été non plus caractérisé. Par conséquent, la demande de changement de nom ne pouvait être que rejetée.
Conseil d'État, 10 juin 2020, n° 419176 ⬇️ : circonstances exceptionnelles (oui)
Le motif d'ordre affectif du changement de nom : les circonstances particulières caractérisées par le désintéressement du père légal
M. A D, né le 11 septembre 1974 de père inconnu, a été élevé jusqu'à l'âge de sept ans par ses grands-parents maternels et a porté jusqu'à l'âge de douze ans le nom de sa mère, Mme E C, qui a obtenu sa garde en 1981.
Mme C a épousé M. B D en 1986. Ce dernier a reconnu le fils de celle-ci, lequel s'est vu alors attribuer le nom de D.
M. A D a entretenu avec M. B D des relations conflictuelles.
Le 7 septembre 1990, le juge des enfants près le tribunal de grande instance de Chartres a décidé le placement de M. A D auprès du service de l'aide sociale à l'enfance de l'Eure-et-Loir, puis son retour chez ses grands-parents maternels, chez lesquels il a vécu jusqu'à sa majorité.
Depuis 1990, M. B D n'a plus participé à son éducation, subvenu à son entretien, ni eu de contact avec lui.
M. B D ne souhaite plus porter le nom de D et souhaite obtenir le changement de nom de famille en portant le nom de C, nom de sa mère.
Selon le Conseil d'Etat, l'ensemble des circonstances de l'espèce sont de nature à caractériser l'intérêt légitime requis pour changer de nom sur le fondement de l'article 61 du Code civil.
Par suite, en lui déniant un tel intérêt, le garde des sceaux, ministre de la justice, a fait une inexacte application des dispositions de l'article 61 du code civil.
Conseil d'État, 16 octobre 2019, n° 421616 ⬇️: circonstances exceptionnelles (oui)
Les circonstances exceptionnelles caractérisées par l'absence de déclaration conjointe portant sur le choix du nom de l'enfant dans un contexte d'accouchement difficile
Un enfant né en 2009 porte le nom "D", nom de son père.
En 2010, ses deux parents ont, par une requête publiée au Journal officiel de la République française, saisi le garde des sceaux, ministre de la justice, d'une demande tendant à ce que soit adjoint au nom du père, le nom de sa mère, "C".
Cette demande a été rejetée par une décision du 26 mai 2015. Par un jugement du 19 janvier 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête présentée par Mme C et M. D à l'encontre de cette décision. Mme C et M. D se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 12 avril 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'ils ont formé contre ce jugement.
Le Conseil d'Etat juge que de telles circonstances doivent être regardées comme exceptionnelles et caractérisent, eu égard au motif invoqué, un intérêt légitime au sens de l'article 61 du code civil justifiant le changement du nom de l'enfant en accolant le nom de la mère à celui du père déjà transmis.
Conseil d'État, 16 mai 2018, n° 408064 ⬇️: circonstances exceptionnelles (non)
Monsieur C B a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 janvier 2014 par laquelle le garde des sceaux, Ministre de la Justice a refusé de faire droit à sa demande tendant à ce qu'il soit autorisé à changer son nom par adjonction de nom de son père « De Albuquerque ».
Le tribunal administratif a fait droit à la demande de l’intéressé, mais le Ministre de la Justice a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Paris ayant également fait droit à la demande de l'intéressé par une décision le 15 décembre 2016. A la suite de cette dernière décision, le Ministre de la Justice s'est pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat ayant rendu une décision le 16 mai 2018.
Le fondement juridique de changement de nom
Le Conseil d'Etat rappelle qu'aux termes de l'article 61 du code civil " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. Le changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret ".
Par ailleurs, des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
La nécessité de démontrer des circonstances exceptionnelles lorsque la demande de changement de nom est fondé sur un motif d’ordre affectif
M.D, qui vivait maritalement avec la mère de M. C B avant la naissance de ce dernier mais était marié par ailleurs, n'a pu reconnaître son fils qu'en mai 1990.
Le jeune C a donc porté le nom de sa mère, première à l'avoir reconnu.
Monsieur D et la mère de C B se sont mariés le 21 mai 2011, alors que celui-ci avait 21 ans, ce qui n'a entraîné aucun effet sur son nom, d'où sa requête en changement de nom déposée le 7 juin 2011.
Monsieur D et la mère de C B se sont mariés le 21 mai 2011, alors que celui-ci avait 21 ans, ce qui n'a entraîné aucun effet sur son nom, d'où sa requête en changement de nom déposée le 7 juin 2011.
Il est constant que Mme B et M. D ont vécu ensemble et ont éduqué et élevé conjointement leur enfant, C B. Il résulte de l'ensemble des témoignages précis et concordants produits devant les premiers juges que le père et le fils souhaitaient porter le même nom et que le requérant, très affecté par le décès de son père le 18 décembre 2012, subit des troubles psychologiques, même si ceux-ci ne sont pas établis par un certificat médical, liés au refus du garde des sceaux de l'autoriser à adjoindre le nom de son père au patronyme de sa mère.
En se fondant sur ces témoignages et la volonté commune de l'intéressé et de son père, la cour d'appel de Paris considère que l'intéressé justifiait d'un intérêt légitime pour changer de nom.
Or, le Conseil d'Etat a censuré la cour administrative d'appel de Paris. Il a jugé que le seul souhait de prendre le nom de son père ne peut suffire à caractériser un tel intérêt et que les troubles psychologiques relevés étaient postérieurs à la demande de changement de nom. Par conséquent, le Conseil d'Etat a conclu que la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce.
Le Conseil d'Etat ajoute que si l'intéressé manifeste son souhait de changer de nom et fait valoir que son père souhaitait qu'ils puissent porter le même nom, alors même qu'aucune démarche n'avait été engagée à cette fin tant qu'il était mineur et qu'il n'a pas fait usage du nom de son père, et s'il allègue de troubles que lui causerait le refus opposé par le garde des Sceaux, il ne fait état d'aucune circonstance exceptionnelle qui serait susceptible de faire regarder le motif affectif qui soutient sa demande comme caractérisant l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
Conseil d'État, 16 mai 2018, n° 409656 ⬇️: circonstances exceptionnelles (oui)
Les circonstances exceptionnelles au changement de nom de famille caractérisées par l'abandon paternel et le désintéressement
Une femme portant le nom de son père a sollicité le changement de son nom de famille afin de porter désormais celui de sa mère qui l'a élevée.
En l'espèce, les parents de l'intéressée se sont séparés peu après sa naissance. Elle a été abandonnée par son père à l'âge de quatre ans et n'a plus eu aucun contact avec lui depuis lors.
En dépit des prescriptions de l'ordonnance du 20 janvier 1994 du juge aux affaires matrimoniales, le père n'a plus participé à son éducation, subvenu à son entretien et exercé le droit de visite et d'hébergement qui lui avait été reconnu.
Selon l'appréciation du Conseil d'Etat saisi, ces circonstances exceptionnelles sont de nature à caractériser l'intérêt légitime requis pour changer de nom.
Conseil d'État, 31 janvier 2014, n° 362444 ⬇️ : circonstances particulières (oui)
Le motif d'ordre affectif du changement de nom : les circonstances particulières caractérisées par l'abandon paternel.
Dès leur naissance, MM. Stéphane et Lionel R. portaient le nom de leur père.
Or, ils ont été abandonnés brutalement par leur père en 1987, alors qu'ils étaient âgés respectivement de 11 ans et de 8 ans.
Après avoir quitté le domicile familial, celui-ci n'a plus eu aucun contact avec eux, de même que sa famille.
Le père n'a subvenu ni à leur éducation ni à leur entretien, alors pourtant qu'il en avait l'obligation en vertu du jugement prononçant son divorce, et n'a jamais exercé le droit de visite et d'hébergement qui lui était reconnu par ce même jugement.
Souffrant de traumatismes physiques et psychologiques depuis cet abandon, les enfants souhaitent ne plus porter le nom de leur père et se voir attribuer celui de leur mère, qui les a élevés.
Selon le Conseil d'Etat, ces circonstances exceptionnelles sont de nature à caractériser l'intérêt légitime requis pour changer de nom.