Bataille lumineuse sur les Champs-Élysées : le droit d'auteur et les illuminations de fêtes

Un jugement du Tribunal judiciaire de Paris (16 mai 2024, n° 20/06340) a tranché un litige opposant le Comité des Champs-Élysées à la société Lindt concernant l'utilisation d'une représentation des illuminations de la célèbre avenue parisienne dans une campagne promotionnelle de boîtes de chocolats.

Cette affaire soulève des questions intéressantes en matière de droit d'auteur relevant des supports de marketing et de concurrence déloyale.

Une campagne publicitaire controversée

 

Le Comité des Champs-Élysées, association se présentant comme coordonnant les actions des enseignes riveraines pour promouvoir la notoriété internationale de l'avenue, est à l'origine de l'illumination des Champs-Élysées lors des fêtes de fin d'année.

Fin novembre 2019, le Comité a découvert une campagne promotionnelle des boîtes de chocolats « Lindt Champs-Élysées » utilisant une représentation des illuminations telles qu'elles étaient présentées entre 2014 et 2017, soit la version dite « Scintillance ».

Suite à un constat d'huissier, le Comité a assigné en référé puis au fond les sociétés Lindt France et Lindt Suisse pour contrefaçon de droit d'auteur. Une saisie-contrefaçon avait également été autorisée.

La revendication de droit d'auteur sur les illuminations des Champs-Élysées

 

Le Comité des Champs-Élysées revendiquait la protection par le droit d'auteur de la « version scintillante des Champs-Élysées », décrivant l'originalité de cette création visuelle par une combinaison de caractéristiques spécifiques.

Ces caractéristiques incluaient notamment la composition de jeux de lumière enveloppant chaque arbre individuellement de bas en haut, le positionnement des guirlandes lumineuses suivant les branches ascendantes pour un effet de bulles de champagne, la disposition sur mesure de LEDs en rideaux biseautés, et l'utilisation de LEDs blancs purs scintillants au sommet des arbres. L'effet recherché était de donner l'impression d'une avenue longée par des flûtes de champagne aux bulles ascendantes et féériques.

Le rappel des règles en matière du droit d'auteur

 

Le tribunal judiciaire de Paris a rappelé que selon l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit d'un droit de propriété intellectuelle du seul fait de sa création.

Il cite ensuite la jurisprudence européenne. En effet, la Cour de justice de l'Union européenne a également précisé qu'une « œuvre », au sens de la directive 2001/29/CE, doit être originale, c'est-à-dire constituer une création intellectuelle propre à son auteur et être l'expression de cette création. Seules les expressions, et non les idées, peuvent faire l'objet d'une protection au titre du droit d'auteur.

Le tribunal a reconnu que l'installation lumineuse de la société Blachère et de son directeur artistique, engagés par le Comité, évoquait des tensions entre tradition et modernité, beauté et innovation, rêve et réalité, constituant ainsi une création intellectuelle. Parmi les éléments précis argués d'originalité, le tribunal a retenu comme expression de cette création l'agencement de guirlandes de LEDs en forme biseautée ascendante enveloppant verticalement les arbres, comportant des LEDs blancs purs scintillants à l'extrémité, donnant l'impression homogène d'une avenue bordée de flûtes de Champagne surmontées de mousse. Ces éléments ont été jugés portant l'empreinte de la personnalité de leur auteur, établissant l'existence d'une œuvre originale.

Le rejet de la contrefaçon des droits d'auteur

 

Malgré la reconnaissance de l'originalité de la « version Scintillante », le tribunal judiciaire de Paris a finalement rejeté la demande pour contrefaçon des droits d'auteur.

Après avoir comparé la prise de vue des des Champs-Élysées figurant dans la publicité de Lindt avec l'œuvre originale, le tribunal a relevé plusieurs différences visuelles significatives. Notamment, la forme biseautée des éclairages n'était que sporadiquement identifiable dans la vidéo, les guirlandes verticales n'étaient pas clairement visibles, le sommet des éclairages différait en hauteur et en aspect scintillant.

Sur le plan conceptuel, bien que la vidéo publicitaire évoquât une atmosphère de fête rejoignant l'enthousiasme et la féérie portés par l'œuvre, le tribunal a estimé que l'alignement des arbres comme des flûtes de Champagne surmontées de mousse n'était pas reproduit. En conséquence, l'élément communiquant la féérie du scintillement et l'enthousiasme de la fête n'était pas présent dans la publicité de Lindt (...).

Le tribunal a donc conclu que les caractéristiques originales de l'œuvre n'étaient pas reproduites, et la contrefaçon alléguée n'était pas démontrée.

L'échec de l'action en concurrence déloyale et parasitaire

 

Le Comité des Champs-Élysées avait également fondé son action sur la concurrence déloyale et parasitaire, invoquant l'article 1240 du Code civil.

Le parasitisme commercial est défini comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre pour tirer profit de ses efforts et de son savoir-faire sans rien dépenser . Cela suppose la volonté de s'inscrire dans le sillage d'autrui pour bénéficier de la valeur économique générée par son activité .

Le tribunal a rappelé que le Comité ne justifiait d'aucun droit privatif sur l'image des Champs-Élysées ou de l'angle de vue spécifique utilisé. De plus, il a été constaté que la prise de vue de la vidéo publicitaire différait significativement de l'aspect réel des illuminations de l'avenue. L'origine des illuminations figurant dans la publicité était d'ailleurs débattue, les parties convenant qu'elle était issue d'une technique de conception et de retouche d'image dite de « matte-painting ». En l'absence de preuve que les illuminations produites par cette technique étaient issues d'une prise de vue ou d'une reproduction des illuminations conçues pour le Comité, le tribunal a écarté le moyen fondé sur le parasitisme commercial.