La gestation pour autrui (GPA) en droit français : comment les règles ont-elles évolué ?

1. La prohibition de la GPA en droit français

En droit français, la gestation pour autrui (GPA) est formellement prohibée. Les lois bioéthiques de 1994 ont inscrit cet interdit à l'article 16-7 du code civil, disposant que « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».

Cette prohibition est absolue et s'applique aussi bien à la mère génitrice et/ou gestatrice qu'au père géniteur. Elle vise les conventions à titre gratuit comme à titre onéreux. De plus, le code pénal sanctionne le fait de s'entremettre en vue d'une gestation pour le compte d'autrui (article 227-12). En effet, cet article dispose que :

« Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d'autorité, les parents ou l'un d'entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.

Le fait, dans un but lucratif, de s'entremettre entre une personne désireuse d'adopter un enfant et un parent désireux d'abandonner son enfant né ou à naître est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Est puni des peines prévues au deuxième alinéa le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double.

La tentative des infractions prévues par les deuxième et troisième alinéas du présent article est punie des mêmes peines ».

Bien que le débat sur une éventuelle ouverture, même encadrée, de la GPA ait existé et que certains pays s'y soient ouverts, le législateur français a maintenu l'interdiction lors des révisions des lois de bioéthique en 2011 et en 2021. Cette position est justifiée par plusieurs arguments, notamment le respect de la dignité de la femme, le refus de la marchandisation du corps humain, l'indisponibilité de l'état des personnes, le rejet de toute réification de l'enfant et l'exclusion de tout ce qui pourrait apparaître comme la consécration d'un « droit à l'enfant ». Les risques d'exploitation sociale et de dérive financière sont également dénoncés. Lors des débats parlementaires, le rejet de la GPA fut unanime, et le législateur a même souhaité réaffirmer l'interdit en remettant en cause la jurisprudence de la Cour de cassation sur la filiation des enfants nés d'une GPA pratiquée à l'étranger.

Cependant, cette interdiction de la GPA n'empêche pas l'existence de pratiques souterraines, promues sur internet, ni la possibilité de recourir à la GPA à l'étranger dans des pays qui l’autorisent tels que la Russie, le Canada, l’Inde. La question se pose alors du sort réservé à l'enfant né dans de telles conditions.

2. L’opposition de la Cour de cassation à la transcription de l’acte de naissance de l’enfant né d’une GPA à l’étranger

Les personnes ayant recours à la GPA à l’étranger demandent généralement la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance de leur enfant établi par les autorités locales du pays de l’accouchement.

Initialement, la Cour de cassation (trois arrêts rendus le 6 avril 2011) avait fait preuve d'une grande fermeté en s'opposant à la reconnaissance directe ou indirecte de la maternité pour autrui, se fondant sur le respect de l'ordre public et le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes.

Dans l’arrêt Mennesson du 6 avril 2011, la Cour de cassation a affirmé que les actes de naissance d’enfants nés à l’étranger d’une mère porteuse ne pouvaient être transcrits sur les registres de l’état civil français : « en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du Code civil ». Le même principe « fait obstacle aux effets en France d’une possession d’état invoquée pour l’établissement de la filiation en conséquence d’une telle convention, fût-elle licitement conclue à l’étranger, en raison de sa contrariété à l’ordre public international français ».

3. La condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour le refus de transcrire l’acte de naissance de l’enfant né d’une GPA à l’étranger

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a par la suite condamné la France, notamment dans les arrêts Mennesson et Labassée du 26 juin 2014, considérant qu'il y avait une atteinte au droit des enfants au respect de leur vie privée : « s’il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ainsi ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire (...), il résulte toutefois de ce qui précède que les effets de la non-reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi conçus et les parents d’intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté » (Mennesson, § 99, Labassée, § 78).

Cette affaire prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également le géniteur de l’enfant (Mennesson, § 100, Labassée, § 79). On ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt de l’enfant de le priver d’un élément essentiel de son identité alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concernés revendiquent sa pleine reconnaissance. « En faisant (...) obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation » (Mennesson, § 100, Labassée, § 79).

 

4. L’admission de la transcription de l’acte de naissance de l’enfant né d’une GPA à l’étranger

 

Face à la censure de la CEDH, la Cour de cassation, dans deux arrêts du 3 juillet 2015, s’est fondée sur l’article 47 du Code civil afin de rappeler les conditions de transcription des actes de l’état civil étrangers sur les registres français de l’état civil. En effet, cet article dans sa version applicable avant 2021 dispose que « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

Il en résulte que la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né d’une GPA à l’étranger ne pouvait être refusée que si l’acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Ces dispositions permettent de transcrire la filiation du parent biologique, sans difficulté.

Quid de la filiation du parent d’intention ? Le débat se concentra sur la notion de « réalité » au sens de l’article 47 du Code civil : lorsque l’article 47 dispose qu’un acte étranger ne peut être transcrit sur les registres français si « les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité », faut-il entendre par « réalité » celle des faits matériels recueillis dans l’acte ou la « réalité juridique » de la paternité et de la maternité telle qu’ils sont inscrits dans l’acte ?

Selon la Cour de cassation (1ère Civ., 5 juillet 2017, pourvoi no15-28597), la réalité visée par l’article 47 ne peut être que la réalité matérielle des faits déclarés : « concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement » ; la mère d’intention n’ayant pas accouché, l’acte de naissance la désignant comme mère n’est pas conforme à la réalité et ne peut être transcrit. Cependant, la Cour de cassation ouvre la voie à l’adoption : « enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père ».

 

L'avis consultatif de la CEDH du 10 avril 2019 a validé cette approche, ne reconnaissant pas une obligation générale pour les États de reconnaître ab initio le lien de filiation avec la mère d'intention, mais insistant sur la nécessité de permettre la reconnaissance de ce lien au plus tard lorsqu'il s'est concrétisé, notamment par l'adoption.

Dans un arrêt rendu le 4 octobre 2019 (Ass. plén., 4 octobre 2019, pourvoi n° 10-19053), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, au vu de l’avis donné par la Cour EDH, affirme que « Il se déduit de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du Code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’État étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé » (par. 6). L’arrêt qui avait jadis refusé la transcription est donc cassé. La Cour « retient, eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’il convient de privilégier tout mode d’établissement de la filiation permettant au juge de contrôler notamment la validité de l’acte ou du jugement d’état civil étranger au regard de la loi du lieu de son établissement, et d’examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant » (par. 16). Elle rejette, en l’espèce l’adoption, impossible et inopportune. Elle écarte également la possession d’état (sur laquelle les enfants Mennesson fondaient une partie de leur argumentation, et qu’ils avaient pris soin de faire constater par le juge d’instance), non pour des raisons de principe, mais parce qu’elle ne présente pas les garanties de sécurité juridique suffisantes. Selon la Cour, « Il résulte de ce qui précède, qu’en l’espèce, s’agissant d’un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans, en l’absence d’autre voie permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de Mmes A... et B... X... consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et alors qu’il y a lieu de mettre fin à cette atteinte », la transcription s’impose.

 

La Première chambre civile, par une série d’arrêts du 18 décembre 2019 (1 re Civ., 18 décembre 2019, pourvois n°18-14751 et 18-11815) retient qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du Code civil ».

La Première chambre civile réaffirme le principe de transcription, pour la mère d’intention, comme pour le père d’intention dans le cadre d’une GPA à l’étranger.

5. La nouvelle loi relative à la bioéthique du 2 août 2021 modifiant l’article 47 du code civil

 

Lors des débats relatifs à la réforme de la loi de bioéthique, le gouvernement souhaita réaffirmer la prohibition de la GPA en brisant la jurisprudence de la Cour de cassation. Il s’agissait de mettre fin au principe de transcription, et, de restaurer un contrôle judiciaire des GPA pratiquées à l’étranger dans le cadre de la procédure d’adoption qui constituerait la seule voie permettant d’établir la parenté d’intention.

Pour y parvenir, le législateur choisit de passer par l’article sur lequel la Cour de cassation avait, précisément, construit sa jurisprudence : l’article 47 du Code civil. Aux termes de ce texte, « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenues, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». La loi du 2 août 2021 précise que « Celle-ci [cette réalité] est appréciée au sens de la loi française ».

 

6. L’observation des décisions judiciaires rendues après la loi du 2 août 2021 modifiant l’article 47 du code civil

 

Le 7 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Nantes a rendu un jugement autorisant la transcription intégrale de l’état civil d’un enfant conçu par GPA. Les juges n’ont pas pris en compte la loi de 2021 et ont considéré que l’adoption n’est pas une mesure la plus appropriée, compte tenu de son délai trop long.

Dans une autre affaire, un couple d’hommes français a recours à la GPA en Californie. Un jugement californien a déclaré la filiation de ces deux français comme parents légaux de l’enfant à naître. En rentrant en France, ils ont entamé une procédure d’exequatur du jugement étranger. C’est-à-dire qu’ils demandent la reconnaissance et l’exécution de ce jugement en France. La Cour de cassation n’a pas remis en cause cette reconnaissance (car il n’y avait pas de fraude à la loi ou la contrariété à l’ordre public international français). Ce qui veut dire que ce jugement étranger permet d’établir intégralement l’acte de naissance en France (Cour de cassation, Chambre civile 1, 2 octobre 2024, 23-50.002, Publié au bulletin).