Le changement de nom de famille : l'usage prolongé d'un autre nom est un intérêt légitime au changement.

La demande de changement de nom de famille

 

M. A C est né sous le nom de A B le 17 février 1967 en Tunisie. Il est arrivé en France en 1987 et a été adopté par M. D C selon jugement d'adoption simple du tribunal de grande instance de Reims du 25 janvier 1989, à l'âge de 21 ans. Ce jugement d’adoption simple a décidé qu'il porterait désormais le nom de A C, c’est-à-dire qu’il porte le nom de famille de l’adoptant.

Cependant, M. A C fait valoir que son adoption ainsi que son changement de nom consécutif, n'ont été transcrits sur les registres de l'état civil à Nantes que le 6 novembre 2009, ce qui fait qu'il a continué à porter son nom de naissance jusqu'à cette dernière date. 

Ayant constaté qu'il avait été procédé à cette transcription lors du renouvellement de son passeport en 2011, il a sollicité, le 4 février 2013 le changement de son nom pour reprendre celui de Hassen B.

Cette demande a été refusé. Il a alors contesté ce refus devant le tribunal administratif de Paris qui a fait droit à sa demande en 2020. Un appel a été interjeté par le Ministre de la Justice.

La cour administrative d’appel de Paris a confirmé le premier jugement en enjoignant au Ministre de la Justice, de présenter au Premier ministre, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, un projet de décret autorisant le changement de nom de M. C en « B ».

L’intérêt légitime au changement de nom de famille caractérisé par l’usage prolongé d’un autre nom sollicité

L'article 61 du code civil dispose que " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom (...) ".

Le Conseil d’Etat rappelle que si l'adoption simple entraîne l'adjonction du nom de l'adoptant à celui de l'adopté, elle ne saurait en elle-même faire obstacle à l'exercice du droit, reconnu par l'article 61 précité du code civil à toute personne qui justifie d'un intérêt légitime, à demander à changer de nom.

Le Conseil d’Etat rappelle ensuite que l'usage constant d'un nom pendant une durée significative peut caractériser un intérêt légitime à changer de nom pour porter le nom d'usage.

Il convient de déterminer si l’intérêt légitime de M. A C est caractérisé.

Cet intérêt est rempli en l’espèce. Malgré le jugement d'adoption de M. A B du 25 janvier 1989 ayant décidé qu'il porterait le nom de C et ordonné que le jugement soit mentionné sur les registres du service central d'état civil à Nantes, la mention du jugement d'adoption et du changement de nom consécutif de l'intéressé, n'a été portée sur son état civil que le 6 novembre 2009, comme cela ressort d'une copie d'acte de naissance datée du 25 juin 2012 produite par M. C. Quelle que soit la raison de ce retard, M. C soutient que, dans ces circonstances, il n'a cessé de porter son nom de naissance. Il produit au dossier des pièces démontrant qu'il s'est marié le 18 février 1989 sous son nom de Hassen B, et que les deux enfants qui sont nés de cette union en 1994 et 1997 portent le nom de B, ainsi que les deux autres enfants qu'il a eus par la suite avec une autre femme nés en 2003 et 2006.

Il démontre également qu'il a acquis la nationalité française par déclaration auprès du tribunal d'instance de Reims, le 21 décembre 1992, sous le nom de B.

M. C produit également au dossier sa carte vitale au nom de Hassen B, ainsi que des attestations émanant des services de la ville de Vitry-sur-Seine où il est employé depuis 1997 et l'était encore en 2017, accompagnées de bulletins de paie, justifiant qu'il n'est connu dans son milieu professionnel que sous le nom de M. A B.

M. C produit également diverses factures, ainsi que des correspondances avec des services de la justice ou des notaires.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, M. C établit qu'il a continué d'utiliser le seul nom de B depuis son adoption, tant dans sa vie privée que dans sa vie professionnelle et ses rapports avec les administrations. Il a donc fait un usage ininterrompu de ce nom depuis près de 50 ans à la date à laquelle est intervenue la décision contestée.

M. C, qui souhaite pouvoir continuer légalement à porter le nom qu'il a toujours porté et que portent les autres membres de sa famille, en particulier ses enfants, justifie, dans les circonstances de l'espèce, d'un intérêt légitime au changement de nom sollicité.

Source : Cour administrative d'appel de Paris, 9 décembre 2021, n° 20PA01174